Le « Paris » misérable de Amara Benyounes !

@kam

hier a Paris nous étions une vingtaine de citoyens Algériens a manifester devant l’hôtel le Méridien (porte Maillot) car on nous a refusé l’entrée au meeting de Amara Benyounes et Ammar Ghoul, alors qu’on voulais juste exprimer notre opinion pacifiquement et dans le respect de l’opinion de ceux qui, sur place, soutiennent Bouteflika. Le prétexte du refus est que nous ne disposions pas du « badge spécial » et que nos noms ne figuraient pas sur la « liste des invités » ! Étrange meeting de compagne ou les invités sont triées a la volée… nous avons donc voulu en savoir plus sur qui étaient ces mystérieux « invités ».
Les premiers, très visibles, étaient des « mangeurs a tous les rattelliers » bien connue par les Algériens de France ; les familles des agents et fonctionnaires de l’ambassade et consulats d’Algérie en France. dépêchés par grand renfort de Bus venu de Lille, Amiens, Compiègne et toutes les…

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Debout ! sur pieds d’argile…

@kam

Bouteflika assis ou Bouteflika debout !

Bouteflika silencieux ou Bouteflika qui fredonne quelques mots !

Bouteflika avec ou sans ses facultés physiques et mentales !

Bouteflika qui reçoit via John Kerry le soutien des USA, après avoir reçu via Laurent Fabius le soutien de la France !

Bouteflika qui, pour bénéficier du soutien des maîtres du monde à son trône, à dû brader à ses maîtres occidentaux toutes les richesses du sous-sol Algérien !

Bouteflika qui a soutenu Rafiq Khalifa, avant de l’abandonner !

Bouteflika qui a ramené et soutenu Chakib Khalil, avant de le sacrifier et s’en démarquer !

Nous, les pauvres gens du peuple ; on en veut plus ! on est fatigué !

Car durant de longues années, nous avons entendu Bouteflika nous promettre la lune et une Algérie meilleure que la Californie !

Mais ;

15 années plus tard et 800 milliards de dollars de dépensés ; l’Algérie…

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L’artiste et le « Bâtard » !

Suis-je un « Bâtard » juste parce que je ne suis pas d’accord avec la tenue d’une élection qui sera « truquée » et dont les résultats sont connus d’avance par tous les Algériens !

Suis-je un « Bâtard » juste parce que je pense que cette élection est anti-démocratique ! Car les conditions de sa tenue sont la négation même de la démocratie et du respect de la « souveraineté du peuple Algérien » !

Suis-je un « Bâtard » si je pense que la tenue d’une telle élection, avec de telles enjeux pour l’avenir de notre Pays, exige un minimum de transparence et de respect de la « volonté populaire » ! Un « respect » pourtant figurant dans la « constitution Algérienne » !

Suis-je un « Bâtard » si je pense que l’organisation de ces élections n’a pas respecté la constitution Algérienne, loi fondamentale du Pays. Ce qui les rend « anticonstitutionnel » et de ce fait, un acte « antidémocratique ».

Suis-je un « Bâtard » si, de ce fait, je pense que ces élections sont « antidémocratique » et que le minimum de respect pour la démocratie serait de « s’opposer fermement à leur tenue ! », car elles « deviennent dangereuses » et risquent de plonger notre Pays dans « l’instabilité » et une grave crise de « légitimité politique » !

Suis-je un « Bâtard » parce que je ne suis pas d’accord qu’un président se maintient au-delà de deux mandats, tel que prévu par la constitution Algérienne qui prévoit et exige « l’alternance au pouvoir » comme principe de gouvernance !

Suis-je un « Bâtard » parce que je ne suis pas d’accord qu’un clan présidentiel « s’achète » la loyauté d’un parlement élu par la fraude, pour neutraliser « le pouvoir législatif » et ainsi priver le peuple de toute représentativité, contrairement et en violation de toutes les règles démocratiques en vigueur !

Suis-je un « Bâtard » parce que je m’oppose à ce que mon Pays se transforme en pseudo-monarchie par la grâce d’un régime ultra-présidentiel qui réduit à néant la « souveraineté du peuple » !

Suis-je un « Bâtard » parce que je ne suis pas d’accord avec la « corruption » et le « partage injuste » des richesses de mon Pays !

Suis-je un « Bâtard » parce que je ne suis pas d’accord avec la marginalisation des jeunes de mon Pays et la mise à mal de son économie !

Suis-je un « Bâtard » parce que je ne suis pas d’accord avec les idées et les opinions de ceux qui veulent se maintenir au pourvoir malgré la large contestation populaire !

NON, Madame l’Artiste, je ne suis pas un bâtard, mais juste un Algérien qui aime son Pays et qui lui veut du bien ! Un homme qui souhaite protéger son Pays contre les tentations d’un pouvoir qui se mélange à la cupidité et à l’avidité de l’argent mal acquis !

Je ne suis pas comme vous, Madame l’artiste ; épouse d’un « riche mari » qui défend des gens « riches » et « puissants » ! Est-ce parce qu’ils sont de « sa région » (Tlemcen) ?

Une élite, c’est celle qui sait écouter, comprendre puis porter les aspirations de ces concitoyens pour devenir « la voix de son peuple » ! Mais quand elle s’éloigne du peuple et ne le comprend plus, elle cesse d’être une élite pour devenir « des clients du pouvoir » !

En Algérie la nature du pouvoir, bâti sur l’abondance de l’argent issu de la rente pétrolière, à forcé l’élite à la servilité, pour se garantir la « servitude de tout le peuple » !

Après Madjer, Belloumi et Cheb Khaled, je rajoute à ma « black-liste » celle que je trouvais pourtant « jolie », avant de découvre que pour elle, en faite, je ne suis qu’un « Bâtard » qui refuse de soutenir « son président » !

C’est fou, comme l’odeur de l’argent change les gens, au point de leur « tourner la tête » !

L’argent n’a pas d’odeur, certes, mais quand on en a trop, ça pu !

@kam,

Le rôle d’Abane Ramdane pendant la guerre d’Algérie (2)

Deuxième partie : le rassembleur

Au début de l’année 1955, le chantier qui attend Abane Ramdane est colossal. Pour se rendre compte de l’ampleur de la tâche, il suffit de revoir les positions des partis politiques algériens au lendemain du déclenchement de la lutte armée. Ainsi, pour le parti de Ferhat Abbas, l’action armée constitue à la fois « désespoir, désordre et aventure ». De leur côté, les centralistes, bien qu’ils soient issus du même parti que les activistes, ne sont pas loin de penser la même chose que Ferhat Abbas. Quant à l’association des Oulémas, celle-ci qualifie uniment les actions du 1er novembre 1954 d’actes terroristes. Et comme le malheur ne vient pas seul, le nouveau mouvement, le FLN en l’occurrence, enregistre en peu de temps des pertes colossales. Pour rappel, le chef du Constantinois (Didouche) a été assassiné en janvier 1955, le chef des Aurès-Nemenchas (Ben Boulaid) a été arrêté en février 1955, le chef de l’Algérois (Bitat) a été arrêté en mars 1955, le coordinateur national (Boudiaf) avait quitté l’Algérie à la veille du déclenchement de la lutte [il ne reviendra qu’en juin 1962]. Les deux chefs de zones qui sont en liberté, quatre mois après les événements de novembre 1954, sont Krim Belkacem et Larbi Ben Mhidi.

Du coup, au moment où Abane Ramdane intègre le mouvement révolutionnaire, celui-ci est quasiment évanescent. Sur le terrain, seules les Aurès et la Kabylie bougent encore. Aidées par leur relief, elles maintiennent autant que faire se peut le mouvement en vie. Cependant, malgré ces difficultés, le train de la révolution n’a pas intérêt ni à s’arrêter ni à faire marche arrière. Pour y parvenir, c’est la mission que s’assigne Abane Ramdane. Bien qu’il ne soit pas l’initiateur de la lutte armée [pour faire plaisir à ceux qui aiment signaler ce détail], il est évident que les objectifs du mouvement ne pourraient être réalisés que si les Algériens participaient à la lutte. Or, qui dit action populaire, dit aussi l’ouverture du mouvement à toutes les compétences. Depuis la prise de ses fonctions [à ceux qui disent « qui a donné le mandat à Abane pour parler au nom du FLN ? », ont peut dire la même chose à propos de ses contradicteurs], le plus politisé des militants nationalistes inaugure son entrée sur la scène politique par un appel émouvant au peuple algérien, le 1er avril 1955. Pour lui, si le peuple algérien veut vivre sans carcans, il faudra qu’il rejoigne, sans tarder, le FLN.  Une nouvelle formation, selon lui,  qui n’a rien à voir avec les anciens partis politiques.

Cependant, il ne suffit pas de décréter le rassemblement pour qu’il se fasse naturellement. Bien que tout le monde le veuille, force est d’admettre que cela ne se fait pas en claquant des doigts. Dans le contexte algérien de l’époque, pour ramener les autres partis vers le front, il faudrait surtout tenir un discours unificateur. Au discours empreint d’exclusivisme de la part de Ben Bella, Abane tient un autre langage. « Le FLN n’appartient à personne, mais au peuple algérien qui se bat. L’équipe qui a déclenché la révolution n’a acquis sur celle-ci aucun droit de propriété. Si la révolution n’est pas l’œuvre de tous, elle avortera inévitablement », rassure-t-il Ferhat Abbas lors de leur premier entretien du 26 mai 1955.

Cela dit, le rassemblement auquel appelle Abane doit satisfaire une condition sine qua non : les militants doivent adhèrer individuellement au FLN, et ce, après la dissolution de leur parti. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que, dans le contexte de l’Algérie des années 1950, il n’y avait pas beaucoup d’hommes capables d’accomplir une telle mission. Car, ce dernier doit être à la fois un homme visionnaire et surtout un homme intransigeant sur certains principes. « Ramdane était un véritable animal politique et un organisateur expérimenté. Il n’avait pas besoin de son intuition de mathématicien pour, en premier lieu, identifier le sens du problème prioritaire et urgent : absence de vision et de stratégie politique, et, en deuxième lieu, pour mettre en place les structures cohérentes destinées à soutenir la dynamique populaire », répond Hocine Ait Ahmed à un journaliste qui l’interviewait sur le rôle d’Abane Ramdane.

D’une façon générale, bien que les formations politiques soient sommées de choisir le camp [où elles s’engagent avec le FLN où elles satisfont les desiderata des autorités coloniales en constituant la troisième force], certaines d’entre elles ont mis beaucoup de temps à réagir. Les centralistes sont les premiers à s’engager. Bien qu’il y ait des sceptiques, à l’instar de Kiouane, la ligne défendue par Ben Khedda, ami de langue date d’Abane, l’emporte facilement à l’automne 1955. De la même façon, les partisans de Ferhat Abbas suivent l’exemple dès janvier 1956. Enfin, bien que la position des Oulémas soit la plus langue à se dessiner, d’après Mohamed Harbi, ils rejoignent, à l’instar des autres courants déjà cités, le mouvement libérateur.

Quoi qu’il en soit, comme pour l’idée du rassemblement, il ne suffit pas non plus d’arracher l’acquiescement de ces organisations à rejoindre le mouvement pour que l’union soit effective. L’étape suivante, inhérente à la réorganisation de la révolution, est tout autant cruciale. Dans cette mission, Abane Ramdane s’entoure d’une équipe ne lésinant pas sur les efforts. Mais le renfort de taille est indubitablement celui de Larbi Ben Mhidi. Après un séjour au Caire, où il a eu une altercation avec Ben Bella à propos de l’approvisionnement des maquis en armement, Larbi Ben Mhidi a compris que la lutte ne pouvait pas être dirigée de l’extérieur. Joignant ses efforts à ceux d’Abane, les deux grands militants préparent un congrès national scellant l’union de toutes les forces politiques algériennes, à l’exception du MNA de Messali Hadj et du parti communiste algérien (PCA).

Ainsi, le 20 août 1956, la révolution algérienne, après moult tergiversation, est enfin remise sur les rails. Elle est désormais dotée des organismes dignes des révolutions universelles. L’un est consultatif, le CNRA (conseil national de la révolution algérienne), et l’autre exécutif, le CCE (comité de coordination et d’exécution). Pour couronner le tout, les congressistes adoptent deux principes pouvant parer toute velléité tyrannique. Il s’agit de la primauté du politique sur le militaire et de l’intérieur sur l’extérieur. En réponse à ses détracteurs, Abane considère que le premier principe « est un principe universel valable dans tous les pays et dans toutes les révolutions, car il affirme le caractère essentiellement politique de notre lutte à savoir : l’indépendance nationale. »

Néanmoins, bien que ce projet soit conforme à la proclamation du 1er novembre 1954, chefs  historiques, à l’instar d’Ahmed Ben Bella, contestent les résolutions du congrès. « J’étais le seul à la prison de la santé à reconnaitre les décisions de la Soummam. Pour toutes les raisons indiquées, et surtout en raison du consensus national qui y fut esquissé et qui pouvait servir de support international à la constitution d’un gouvernement provisoire… », témoigne Hocine Ait Ahmed. D’ailleurs, son vœu sera exaucé le 19 septembre 1958 lorsque le GPRA prendra la place du CCE. Mais, entre temps, beaucoup de malheurs se sont abattus sur la révolution algérienne.

Pour conclure, il va de soi que le rassemblement national, réalisé sous la houlette du duo Abane-Ben Mhidi, peut être considéré comme le moment le plus décisif de l’histoire nationale. Malgré la défaite de leur ligne politique, sous les coups d’estocade d’un Ben Bella obsédé par le pouvoir, leur œuvre restera indélébile. Quant aux vainqueurs, bien qu’ils se soient revenu sur les principes inhérents à la primauté du politique sur le militaire et de l’intérieur sur l’extérieur, ils n’ont pas eu le courage de supprimer les organismes dirigeants, tels que le CCE et le CNRA. Cela prouve que le projet politique, défendu par le duo Abane-Ben Mhidi, tient la route. Hélas, encore une fois, le dernier mot est revenu à ceux qui vont plonger l’Algérie dans le malheur à l’indépendance. Enfin, pour terminer ce modeste travail, voila ce que déclare Hocine Ait Ahmed sur les conséquences de la défaite de la ligne politique portée par le duo Abane-Ben Mhidi : « Quant aux prolongements sur la situation actuelle, que dire sinon que l’Algérie n’en serait pas là, exsangue et dévastée, si Abane n’avait pas été assassiné par les siens et si Ben Mhidi n’avait pas été exécuté par les autres. En d’autres termes, si le principe du primat du politique sur le militaire avait été respecté.»

Boubekeur Ait Benali

source : http://www.hoggar.org/

Le rôle d’Abane Ramdane pendant la guerre d’Algérie (1)

Première partie : son engagement

L’histoire d’Abane Ramdane, malgré les 56 ans qui nous séparent de son ignoble assassinat, continue de fasciner. Il est évident que le fils d’Azouza a marqué l’histoire de l’Algérie de façon positive, et ce, quoi qu’en en disent les adversaires de sa ligne politique. Bien qu’ils n’appartiennent pas tous au même bord, ces gens-là défendent tous le pouvoir d’un seul homme. Dans ce cas, c’est normal qu’ils vouent une haine viscérale envers Abane Ramdane. Car, de son vivant, le Jean Moulin algérien s’est opposé de toutes ses forces à ce système. Du coup, il n’est pas étonnant à ce que ces adversaires le dévalorisent sans vergogne. En tout cas, entre ceux d’hier qui l’ont tué pour qu’ils puissent instaurer le pouvoir personnel et ceux d’aujourd’hui qui ne respectent pas sa mémoire, la différence est minime.

Toutefois, pour mieux connaitre l’engagement de cet homme exceptionnel, un retour sur son rôle, pendant la révolutionnaire algérienne, est requis. En effet, après cinq pénibles années, passées dans les geôles françaises, Abane Ramdane est libéré le 18 janvier 1955. Bien que les trouvailles avec sa famille, notamment sa mère qui attendait avec impatience ce moment, soient intenses, le devoir national, pour ce militant dévoué, est plus fort. Ainsi, quatre jours après sa libération, il reçoit une délégation locale du FLN. Parmi ses hôtes, il y avait le futur colonel de la wilaya IV et son fidèle ami, Slimane Dehilès. « Cette présence nous a été confirmée par l’intéressé lui-même, ce qui établit avec certitude le premier contact politique d’Abane Ramdane », écrit Khalfa Mammeri, dans « Abane Ramdane : finalement le père de la révolution ».

Par ailleurs, l’évocation de l’auteur mérite qu’on s’y attarde un petit peu. En effet, la question qui me taraude l’esprit est la suivante : comment se fait-il que l’enfant du système [directeur général au ministère de l’Intérieur, aux Affaires étrangères, quatre fois ambassadeur, etc.] puisse réaliser un tel travail sur Abane Ramdane, dont la philosophie est diamétralement opposée au régime qu’il a servi ? Il faut rappeler que ce travail a été réalisé au lendemain du simulacre d’ouverture démocratique. Est-ce que cette œuvre a été commandée à quelques mois du retour du chef historique, Hocine Ait Ahmed, en Algérie ? En tout état de cause, au grand dam des pyromanes pompiers, cette stratégie n’a pas eu les résultats escomptés. Et pour cause ! Hocine Ait Ahmed, dont la hauteur d’esprit n’est plus à démontrer, ne rentre pas dans ce jeu machiavélique de rivalité. En gros, au lieu de susciter le choix entre les deux figures de proue, les Algériens reconnaissent aux deux hommes les mêmes qualités, dont la plus importante étant leur respect au peuple algérien. Pour clore cette parenthèse, il n’est pas étonnant à ce qu’on retrouve l’auteur de la biographie d’Abane député du RCD entre 1997 et 2002.

Quoi qu’il en soit, puisque le sujet concerne l’histoire, je vais utiliser ce support en faisant abstraction de toute arrière-pensée. Ainsi, en ce début de l’année 1955, l’urgence, pour les chefs de l’insurrection, est de maintenir la pression. Du coup, les chefs du FLN ont besoin de renfort. En tout cas, ce n’est pas avec les quelques activistes du PPA-MTLD qu’ils vont se débarrasser du système colonial. C’est dans ce contexte que Krim Belkacem charge son adjoint, Amar Ouamrane, de convaincre Abane « d’entrer dans la révolution et d’accepter de hautes responsabilités dans l’Algérois (zone4) », reprend Khalfa Mammeri un article d’Yves Courrière, paru dans « Historia Magazine ». En fait, bien que Rabah Bitat s’acquitte convenablement de sa mission, un tel renfort ne peut pas être de refus. C’est ainsi qu’au début du mois de mars, Abane Ramdane reçoit une lettre d’un haut responsable de la zone 4. Celui-ci ne pourrait être, d’après Khalfa Mammeri, que Rabah Bitat.

De toute façon, la pression française est telle qu’il n’y a pas de temps à perdre. En plus, le chantier qui attend Abane Ramdane est colossal. « En mars 1955, au moment où Abane Ramdane arrive à Alger et y aborde la révolution, celle-ci n’a commencé que depuis quatre mois. C’est bien peu, mais cela suffit, à un œil exercé et à un esprit lucide pour s’en faire une idée précise, à seule fin d’évaluer le chemin parcouru », écrit encore son biographe. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il a du pain sur la planche. Car, à l’indigence des moyens, les autorités coloniales déciment peu à peu l’organisation. Après l’assassinat de Didouche Mourad en janvier 1955, l’arrestation de Mostefa Ben Boulaid en février 1955, le chef de l’Algérois, Rabah Bitat, est arrêté à la mi-mars 1955. Sur les six membres fondateurs du FLN, seuls Krim Belkacem et Larbi Ben Mhidi sont désormais en liberté. Mohammed Boudiaf, le coordinateur national, a quitté l’Algérie à la veille du déclenchement de la lutte armée.

Voilà grosso modo la situation de la révolution au moment où Abane Ramdane prend ses responsabilités. En plus de la faiblesse des moyens, les militants nationalistes continuent à se déchirer sur la question de leadership. En effet, les luttes intestines héritées du PPA-MTLD n’ont pas cessé.  En revanche, contrairement aux acteurs qui ont vécu la scission du parti, Abane Ramdane se place au dessus de la mêlée. Pour lui, ce qui importe, c’est de créer les conditions favorables pour que le FLN soit adopté par tous les Algériens. Peu importe la formation politique antérieure de chacun, ce qui intéresse Abane Ramdane, c’est plutôt l’avenir. Reprenant le témoignage d’Abderrahmane Kiouane, chef de file des centralistes au moment de la crise du PPA-MTLD, sur Abane Ramdane, Khalfa Mammer écrit : « [Abane] ne faisait aucun reproche à personne et ne cherchait pas à situer les torts [dans la scission du PPA-MTLD]. Il n’y avait pas de méfiance en lui.  Ce qui lui importait, c’était l’avenir. »

En somme, il va de soi que s’il fallait se battre contre la France, de surcroit une puissance mondiale, il faudrait, selon Abane Ramdane, mettre de côté les querelles du passé. Cette stratégie, bien qu’elle ne fasse pas l’unanimité, va s’avérer payante. En entamant des contacts, dès le printemps 1955, avec toutes les formations politiques, Abane Ramdane, rejoint dans peu de temps par Larbi Ben Mhidi, réussit ce que tous les chefs du mouvement national n’ont pas pu faire jusque-là : le rassemblement de toutes les forces vives algériennes dans un même mouvement. D’ailleurs, n’est-ce pas le but que s’est assigné le FLN en novembre 1954 de rassembler et d’organiser « toutes les énergies saines du peuple algérien pour la liquidation du système colonial ». Enfin, pour l’histoire de notre pays, ce moment est quasiment unique. Ainsi, qu’on le veuille ou non, et en dépit des campagnes médiatiques orchestrées contre Abane Ramdane, son nom est indissociable de cette œuvre.

Boubekeur Ait Benali

source : http://www.hoggar.org/

Le rôle d’Abane Ramadane pendant la guerre d’Algérie (3)

Troisième partie : la fin tragique d’un héros.

Avec la réalisation du rassemblement national, une mission que seuls les hommes d’État sont capables d’accomplir, la révolution rentre dans une période périlleuse. En cette fin de l’année 1956, deux événements freinent considérablement son élan. Le premier est inhérent à la contestation, par Ben Bella et ses amis, des résolutions du congrès de la Soummam et le second est relatif aux prolongements de la « grève des huit jours », la première action à laquelle a appelé le CCE (comité de coordination et d’exécution). De toute évidence, s’il est prévisible que celle-ci attire les foudres des paras [les autorités coloniales ne pouvant rester bras croisés], il n’en est pas de même des coups portés par les contradicteurs de la ligne soummamienne. Intervention divine ou pur hasard, l’arrestation des membres de la délégation extérieure sauve la révolution d’une implosion certaine. Cela dit, en parlant de la délégation extérieure dans son ensemble, une clarification s’impose sur les positions individuelles. En effet, des prisonniers de la santé [Khider, Ben Bella, Bitat, Boudiaf et Ait Ahmed], seul ce dernier soutient sans ambages les décisions de la Soummam.

Cependant, bien l’acte de piraterie aérienne du 22 octobre 1956 réduise le travail de sape de Ben Bella, ses affidés n’en démordent pas. Pour déstabiliser le CCE, les partisans de Ben Bella, sous la houlette d’Ahmed Mahsas, se regroupent en Tunisie. Il faudrait le concours du président Bourguiba et la détermination du colonel Ouamrane, dépêché par le CCE sur place, pour maitriser la situation. Néanmoins, malgré les manœuvres de déstabilisation, les organisateurs du congrès de la Soummam, Abane Ramdane et Larbi Ben Mhidi, poursuivent leur mission. Saisissant l’occasion de la programmation de la question algérienne pour la session de janvier à l’ONU, les membres du CCE –d’après les témoignages concordants, la proposition est venue de Larbi Ben Mhidi –appellent à une grève nationale du 28 janvier au 4 février 1957. Peut-on, par ailleurs, réussir une action politique face à une armée dirigée par des sanguinaires, tels que le général Massu ou le commandant Aussaresses ? S’il est plus facile de dire aujourd’hui qu’il valait mieux préserver la capitale, ces valeureux militants ne pensaient qu’à attirer l’attention des dirigeants du monde lors du débat onusien. Hélas, face aux paras, dirigés par le général Massu, les Algériens payent un lourd tribut en adhérant à l’appel du CCE. Dotés de pouvoirs illimités, les paras se ruent, dès le 28 janvier, sur les quartiers algériens. Le futur chef du FN (front national), Jean-Marie Le Pen, le leader de l’extrême droite française, se distingue en recevant une décoration militaire, des mains du général Massu, pour la sale besogne effectuée.

Quant aux conséquences sur la révolution, celle-ci reçoit en effet un coup terrible. Face au rouleau compresseur de l’armée coloniale, les membres du CCE décident un repli sur la Tunisie. Après avoir énoncé quatre mois plus tôt la primauté de l’Intérieur sur l’Extérieur, voilà que le CCE enfreint sa propre décision. Cela dit, les membres du CCE donnent-ils tous la même signification à ce départ ? D’après Gilbert Meynier, « pour Abane, les replis sur Tunis ou Le Caire n’étaient que provisoires. Le principe soummamien de la suprématie de l’Intérieur sur l’extérieur faisait partie d’une vraie ligne politique, puisée dans l’histoire des mouvements de libération dont ses innombrables lectures l’avaient rendu familier. »

Quoi qu’il en soit, l’acharnement du sort ne s’arrête pas là. À la veille de leur départ, la révolution algérienne perd l’un de ses meilleurs fils, Larbi Ben Mhidi. Comme vont le montrer les événements ultérieurs, sa neutralisation va faciliter la mise à l’écart et puis la liquidation d’Abane Ramdane. « La demi-défaite qu’a représentée la « Bataille d’Alger », le retrait forcé du CCE de la ville, aggravent considérablement les dissensions qui avaient surgi lors du congrès de la Soummam… Ben Mhidi disparu, Krim est le seul fondateur du FLN actif au CCE. Il change son fusil d’épaule, réaffirme l’importance des chefs « historiques », relance la lutte contre les « centralistes » [Dahlab et Ben Khedda], alliés d’Abane », résume Benjamin Stora l’atmosphère régnant au CCE après le départ à l’extérieur, dans « Dossiers secrets du Maghreb et du Moyen-Orient ». Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’à partir de mars 1957 la dissension va crescendo. À un moment donné, le conflit devient si grave que des dirigeants, tels que Ferhat Abbas ou Chikh El Ibrahimi, en font une priorité. Prenant conseil auprès du Chikh, celui-ci demande à Ferhat Abbas de les concilier. « Quand deux Kabyles sont en conflit, il arrive que l’un d’eux meure », lui dit-il.

Tout compte fait, puisque l’épreuve de force est inéluctable, la victoire revient naturellement au plus fort, et ce, bien qu’Abane Ramdane ne se laisse pas marcher sur les pieds. En tout cas, sa conciliation avec Ben Bella et son rapprochement avec les deux colonels, Boussouf et Ben Tobbal, sont incontestablement des atouts qui font pencher la balance en faveur de Krim Belkacem. Ainsi, bien avant la première réunion du CNRA (conseil national de la révolution algérienne) du Caire, tenue du 20 au 27 aout 1957 [à vrai dire, il y avait une seule réunion de deux heures, le 27 aout 1957, selon Gilbert Meynier], la réorganisation du CCE s’est faite sans Abane Ramdane. À Montfleury, en Tunisie, note Gilbert Meynier, « l’élimination du CCE de Ben Khedda et Dahlab fut sans doute d’ores déjà programmée. Une motion avait été rédigée à destination du CNRA qui demandait le remplacement de Ben Mhidi par Boussouf, la désignation des historiques emprisonnés au CCE et de Ben Tobbal, Ouamrane, Lamine Debaghine et Abbas. » Le jour J, c’est-à-dire le 27 août 1957, ces propositions passent comme une lettre à la poste. De la même façon, les colonels, notamment les 3B (Belkacem, Ben Tobbal et Boussouf), annulent sans peine les deux principes de la Soummam. Désormais, il n’y a plus de différence entre l’Intérieur et l’Extérieur et il n’y a plus de primauté du politique sur le militaire. Enfin, lors de la répartition des tâches, Abane se voit confier la rédaction du journal « El Moudjahid ».

D’une façon générale, après l’accomplissement d’un travail colossal en vue de redresser la situation, les nouveaux hommes forts du moment assènent à la révolution un coup dur. À partir de cette réunion, le repli momentané vers l’extérieur, auquel croit profondément Abane, n’est qu’une chimère. Ne mâchant pas ses mots, Saad Dahlab qualifiera plus tard la réunion du CNRA du Caire de « premier coup d’État ». Toutefois, si les politiques au sein du CCE, anciens aux nouveaux, se taisent, il n’en est pas de même d’Abane Ramdane. Sermonnant les colonels lors de la dernière réunion du CCE à laquelle il a assisté, Abane Ramdane leur dit ceci : « Vous ne pensez plus combat, mais pouvoir. Vous êtes devenus ces révolutionnaires de palace que nous critiquions tant quand on était à l’intérieur. Quand on faisait vraiment la révolution. Moi j’en ai assez. Je vais regagner le maquis et à ces hommes que vous prétendez représenter, sur lesquels vous vous appuyez sans cesse pour faire régner votre dictature au nom des combattants, je raconterai ce qui se passe à Tunis et ailleurs. »

Cependant, peut-on s’opposer à des dirigeants pensant que la puissance d’un chef se mesure au nombre d’étoiles sur ses épaules ? À ce jeu, il est clair qu’Abane part avec un handicap insurmontable. En tout cas, une confrontation d’idée pouvant tourner en faveur d’Abane [Krim voulait opposer son prestige de maquisard à la puissance intellectuelle d’Abane pour peser sur les débats, d’après Yves Courrière], les colonels optent pour la méthode médiévale. Il commence alors une phase où les intrigues prennent le dessus sur l’impératif de la conduite de la révolution. De l’accusation de vouloir faire du journal « El Moudjahid » sa propriété privée à celle de représenter un danger pour la révolution en passant par sa tentative de perpétrer un putsch contre le CCE, les colonels déploient toute leur énergie en vue de discréditer l’architecte du rassemblement national. Or, si ces accusations sont vraies, pourquoi ils ne soumettent pas cette affaire au tribunal de la révolution, créé depuis août 1956 ? Dans le cas Abane, il est seulement constitué un tribunal de salut public, selon les propres mots de Krim Belkacem, en vue de traiter le cas Abane. Mais sans que ce dernier n’ait la chance de se défendre. Et à en croire le témoignage d’Amar Ouamrane, dans une lettre du 15 août 1957, la sentence, bien qu’elle soit illégale, concerne uniquement l’emprisonnement. Mais que vaut cette peine quand l’on sait que l’accusé sera remis entre les mains du sanguinaire, Abdelhafid Boussouf. Pour le piéger, les colonels inventent un litige avec l’armée marocaine. On demande alors à Abane d’aller voir le roi Mohammed V pour aplanir le différend. Accompagnés de Krim Belkacem et de Mahmoud Cherif le 25 décembre 1957, ils arrivent à Tétouan, après un passage furtif en Espagne, le 27 décembre 1957. Prétextant un risque de ne pas pouvoir maîtriser les râlements d’Abane, en cas où la peine d’emprisonnement est retenue, Boussouf décide de le liquider. « Abane passera et il y en aura d’autres qui passeront », déclare-t-il à Krim à l’aéroport de Tétouan, selon le témoignage d’Ouamrane.

Pour conclure, il va de soi que cette liquidation injuste va peser très lourd sur la suite de la révolution. À travers l’assassinat d’Abane Ramdane, ce n’est pas seulement l’homme que l’on tue, mais l’orientation démocratique de la révolution algérienne. Désormais, tous les conflits politiques se règlent par l’élimination de l’adversaire. Mais en faisant de la force le seul moyen de graver les échelons, les 3B vont être bientôt dépassés à ce jeu par un loup, Houari Boumediene. Enfin, malgré les 56 qui nous séparent de cet assassinat, force est de reconnaître que cette malédiction suit toujours l’Algérie. Jusqu’à nos jours, les questions politiques se mesurent à l’aune du rapport de force des acteurs. La préparation de la succession du chef de l’État, Abdelaziz Bouteflika, prouve, si besoin est, la dérive révolutionnaire, héritée des règlements de compte pendant la guerre de libération.

Ait Benali Boubekeur

source : http://ait-benali.over-blog.com/

Rapport de Abane Ramdane au CNRA (1956)

Les frères qui prirent la décision de déclencher l’insurrection du Ier Novembre 1954 se séparèrent en se donnant rendez-vous dans trois mois. Ce rendez-vous devait leur permettre de faire le point de la situation, d’étudier ensemble les besoins de la Révolution et de désigner une direction.

A. La situation avant le Congrès du 20 Août 1956 
La rencontre n’eut pas lieu. Trois sur cinq des responsables qui étaient à l’intérieur devaient tomber soit entre les mains de l’ennemi soit au champ d’honneur (Bitat, Ben Boulaïd Mustapha et Didouche). Les responsables qui étaient à l’extérieur n’ont pas pu se rencontrer à l’intérieur à cause du danger que présentait à l’époque un tel déplacement. La liaison inter-zonale 2 n’existait pas. Les 2/3 du territoire national n’avaient pas bougé, ce qui rendait impossible la jonction des groupes armés existants. La Révolution faute de cette rencontre restera donc sans autorité nationale reconnue. A cela il y a lieu d’ajouter un vide politique effrayant. Le FLN en tant qu’organisation n’était pas encore né. Les quelques responsables qui avaient échappé à la mort et à l’arrestation hésitaient dans leur isolement à prendre des décisions sur les grands problèmes.

Cette situation terrible ne devait heureusement durer que quelques mois.

Petit à petit la Révolution progressait dans tous les domaines. Difficilement la liaison se rétablissait entre les zones Alger-Kabylie, Alger-Oranie, Alger-Paris, Alger-extérieur, et plus tard Alger-Nord constantinois, Cependant la répression interrompait fréquemment cette liaison. Par ailleurs, le FLN commençait à se populariser, d’abord à Alger et ensuite dans le reste du pays. Le mythe de «I’Algérie française» était démoli. Les maquis prenaient de l’ampleur et s’implantaient solidement chaque jour davantage. Le problème algérien était enfin clairement posé.

Devant la poussée insurrectionnelle, les anciennes formations politiques classiques (MTLD, Oulémas, UDMA) s’intégrèrent dans le FLN. Le PCA s’obstina à suivre mais n’ayant aucune base populaire solide, il ne tarda pas à être emporté par la tourmente.

Le rassemblement au sein du FLN de toutes les énergies vives du pays devait faciliter l’union dans le feu de la lutte de tout le peuple algérien.

L’esprit FLN qui avait banni le sectarisme des anciens partis politiques a été pour beaucoup dans cette union du peuple algérien. A ce stade de la lutte, il était indispensable que tous les responsables de l’insurrection se rencontrassent pour confronter les points de vue et se définir dans tous les domaines.

La rencontre eut lieu le 20 août 1956 dans la vallée de la Soummam.

B. Le Congrès du 20 Août 1956 
On a beaucoup parlé et encore plus écrit sur le Congrès du 20 Août 1956. Certes le Congrès du 20 Août n’a jamais eu la prétention d’être une panacée à tous nos maux, cependant, tout homme de bonne foi est obligé de reconnaître que le Congrès du 20 Août a été la plus belle victoire remportée sur l’ennemi depuis le ler Novembre 1954. Au milieu de difficultés sans nombre (alertes, ratissages, embuscades, accrochages), la plupart des responsables de l’Oranais, de l’Algérois et Constantinois ont délibéré 15 jours durant. De ces délibérations devaient sortir :

a. Les organismes dirigeants de la Révolution CNRA et CCE. 
On a critiqué la composition du CNRA, pourtant cet organisme reflète l’union nationale réalisée au sein du peuple. Le CNRA, qu’on le veuille ou non, est un organisme représentatif pouvant valablement engager l’avenir du pays.

b. Le principe de la primauté du politique sur le militaire
Ce principe que d’aucuns ont aussi contesté est un principe universel valable dans tous les pays et dans toutes les révolutions car il affirme le caractère essentiellement politique de notre lutte à savoir : l’indépendance nationale.

c. Le principe de la primauté de l’intérieur sur l’extérieur 
Là encore on a trouvé à redire. Pourtant ce principe est encore valable pour une foule de raisons dans la moindre est qu’une révolution comme la nôtre ne peut être dirigée que par des hommes qui la vivent et indiscutablement on ne peut vivre la Révolution algérienne qu’à l’intérieur des frontières de l’Algérie.

d. La structure de l’ALN
La structure conçue le 20 Août a permis à l’ALN de devenir une véritable armée avec sa personnalité propre. Les grades, les insignes, la composition des unités, etc. furent uniformisés.

e. Les Assemblées du peuple
Innovation heureuse qui répond à un sentiment profond chez notre peuple : l’amour de la démocratie. Les Assemblées du peuple permettent à nos populations de faire leur apprentissage dans l’art de se gouverner elles-mêmes et au FLN de consolider et d’élargir ses assises populaires.

C. La crise Mahsas 
Mis au courant de la réunion dès le mois de février 1956, les frères de l’extérieur n’ont pu venir assister au Congrès pour des raisons indépendantes de notre volonté. Il en a été d’ailleurs de même des frères des Aurès-Nemmenchas. Néanmoins, les congressistes décidèrent de retarder la publication des décisions en attendant de recueillir les voux et suggestions des frères absents. Les décisions du Congrès furent d’une part remises aux frères Zirout et Amirouche chargés de les communiquer respectivement aux Nemmenchas et aux Aurès et d’autre part, envoyées au Caire par un agent de liaison spécial. Ce dernier rencontra Ben Bella à Tripoli et les lui a remises en mains propre en lui demandant de les communiquer aux trères de l’extérieur. Malheureusement, il se produisit l’épisode de l’avion que tout le monde connaît et qui se termina par l’arrestation des cinq et la saisie de tous les documents en leur possession. Ainsi, les décisions du Congrès qui étaient encore secrètes tombèrent entre les mains de l’ennemi.

Devant cette nouvelle situation, le CCE ne pouvait plus retarder la publication des décisions du Congrès parce que :

a. Les Français pouvaient d’un moment à l’autre les rendre publiques ce qui n’aurait pas manqué de provoquer des réactions très vives et justifiées de la part des militants.

b. L’ennemi criait à qui voulait l’entendre que le FLN était décapité et le moral du peuple et de nos troupes commençait à être atteint. C’est alors que le CCE prit sur lui la responsabilité de faire paraître les décisions du Congrès du 20 Août dans le n° spécial du Moujahid daté du1er Novembre 1956.

La publication des décisions provoqua un échange de lettres entre le CCE et les frères de la Santé. Ces derniers reprochaient au Congrès son manque de représentativité, sa conception du FLN qui a été le principal critère dans le choix des hommes composant les organismes dirigeants de la Révolution, le principe de la primauté de l’intérieur sur l’extérieur, le principe de la primauté du politique sur le militaire et enfin que la République algérienne devait à leur sens revêtir un caractère nettement islamique.

Nous avons exposé plus haut les arguments qui militent en faveur de la conception du FLN des congressistes et du choix des hommes devant siéger aux organismes dirigeants de la Révolution. Nous avons aussi développé les arguments qui militent en faveur des principes : primauté du politique sur le militaire et primauté de l’intérieur sur l’extérieur.

Il nous reste à examiner la non-représentativité du Congrès, le caractère islamique de la République Algérienne.

Toute l’Algérie était présente au Congrès exception faite des responsables de l’ex-zone Aurès-Nemmenchas qui ne sont pas arrivés à temps à cause des ratissages et des luttes intestines qui ravageaient cette partie du territoire algérien. Quant à Souk Ahras, pour tous les congressistes elle faisait partie de l’ex- zone Nord constantinois qui avait envoyé au Congrès ses cinq principaux responsables.

L’Oranie était représentée par son principal responsable. Quant à l’extérieur nous avons dit qu’ils étaient avisés plusieurs mois à l’avance.

Pour ce qui est du caractère islamique de la future Republique algérienne, le CCE considère que c’est-là un argument démagogique auquel ne croient même pas ses auteurs. Les frères de la Santé n’ont pas été les seuls à contester les décisions du congrès. Il y aurait aussi Mahsas qui avait été désigné par Ben Bella comme responsable de la base de Tunis.

Le congrès avait désigné Mezhoudi et Benaouda pour se rendre à Tunis afin de clarifier la situation et activer l’envoi des armes. Dès leur arrivée, ils se heurtèrent à Mahsas qui était déjà maître de la situation. Ce dernier non seulement conteste les décisions du congrès mais entreprend un travail de sape et dresse les éléments des zones frontalières (Souk Ahras, Aurès-Nemmanchas) contre le Congrès et le CCE. Le résultat est que les armes sont bloquées. Il s’ensuit une lutte anarchique entre algériens. Ces agissements atteignent dangereusement le prestige du FLN auprès des autorités tunisiennes qui tiennent compte de la situation à leurs frontières.

La réaction de la délégation à l’extérieur tant au Caire qu’à Tunis, une lettre officielle du CCE au gouvernement tunisien et enfin l’arrivée de Ouamrane devaient isoler Mahsas qui parvint cependant à fuir. La situation est aujourd’hui complètement rétablie et un tribunal militaire vient de clore la crise Mahsas en prononçant 13 condamnations à mort dont deux par contumace (Mahsas et Ben Boulaïd Omar).

D. La sortie du CCE
L’idée remonte à plusieurs mois. Elle émane du chef de la wilaya d’Oran qui était à la frontière algéro-marocaine et de ce fait à même de sentir le malaise qui existait entre les éléments de l’intérieur et de l’extérieur. D’autres raisons devaient précipiter la sortie du CCE, les principales en sont :

a. La situation confuse en Tunisie et aux zones frontalières (Souk-Ahras, Aurès-Nemmamchas).

b. La crise d’autorité qui sévissait au sein de la délégation extérieure dont le chef était contesté par les quatre de la Santé.

c. L’entrée des armes en Algérie.

d. L’indispensabilité de réunir le CNRA pour faire le point.

e. Et enfin l’atmosphère quasi-irrespirable à Alger après la féroce répression qui a suivi la grève de huit jours.

II. Le point de la situation
A. Nos forc
es
1. A l’intérieur
a. Le F
LN
Exception faite de quelques douars qui se sont ralliés à l’armée française et qui habitent autour des camps militaires (leur chiffre est d’environ 4 à 5 par wilaya) et d’une partie de la population de certains villages et villes qui échappent à notre contrôle, tout le peuple algérien est embrigadé dans le FLN. Tous les algériens sont membres du FLN . L’immense majorité par conviction, une infime minorité par crainte. Il nous est impossible de donner le chiffre exact des militants du FLN.

Tous les algériens participent à la lutte. Les uns éduquent, les autres organisent, d’autres font de la propagande, ramassent des fonds, du ravitaillement, des médicaments, etc. D’autres encore prennent la garde, servent de guides dans leur douar, hébergent, renseignent et font à l’occasion le coup de feu. Ces millions d’êtres humains sont encadrés par quelques centaines de commissaires politiques (ex-militants des anciens partis politiques, jeunes lycéens et universitaires qui ont déserté les cours). Les commissaires politiques sont aidés dans leur tâche par tous les membres de l’ALN, officiers, sous-officiers et hommes de troupe qui, à l’occasion, tiennent des réunions aux militants, ramassent les cotisations, tranchent les litiges qui surgissent entre les habitants des douars et des villages. Depuis le Congrès du 20 Août la tâche des commissaires politiques est facilitée par l’élection des membres de l’Assemblée du peuple qui gèrent véritablement les affaires de leurs douars (police, état-civil, ravitaillement, garde, etc.) Les commissaires politiques, pour faire régner l’ordre, disposent de gendarmes ; de groupe de moussebline et éventuellement de groupes de l’ALN. Indiscutablement les résultats sont plus qu’encourageants.

L’administration française n’a jamais pu faire régner l’ordre qui existe aujourd’hui dans nos cam-pagnes. Dans les villes mêmes, les délits de droit commun ont diminué dans une proportion énorme.

b. Le peuple
Le peuple c’est, nous l’avons dit plus haut, le FLN Depuis bientôt trois années, il supporte tout le poids de la guerre. Une répression féroce s’abat sur lui. Les pertes sont lourdes. Elles sont de l’ordre de 250 à 300 000 individus (hommes, femmes, vieillards et enfants). A cela il faut ajouter quelques dizaines de milliers dans les prisons et les camps. Il est rare de trouver une famille algérienne qui ne soit pas touchée dans sa chair ou dans ses biens. Des familles entières ont disparu, massacrées par l’armée française, d’autres complètement ruinées ont quitté leur douar d’origine pour aller chercher refuge dans une autre région. La misère est le lot d’une fraction importante de la population. Les habitants de nombreuses régions dites (pourries) ou déclarées zones interdites suivent dans leur repli les groupes de l’ALN lors des opérations de ratissages. Ces populations sont considérées par les Français hors-la-loi et sont souvent mitraillées par l’aviation. Malgré une répression féroce et une misère effroyable, le moral demeure très bon. Tous les rapports des chefs de wilayas corroborent ce que les membres du CCE ont pu constater eux-mêmes lors de leur passage au maquis. A quoi cela est-il du ? A plusieurs raisons : il y a d’abord le caractère algérien qui ne se plie jamais à la force brutale. Il y a ensuite cette conviction profonde chez tous, que notre victoire est certaine. C’est un sentiment qui ne se raisonne pas chez nos masses.

Le peuple croit à l’indépendance comme il croit au paradis. Vouloir l’en dissuader est peine perdue. Certes il connaît parfois des moments d’abattement mais très vite il se ressaisit et reprend confiance à la vue d’une section de nos moujahidines qui vient de désarmer une unité française dans une embuscade ou un accrochage. De plus le fait de se trouver en pleine mêlée au milieu de tous ces jeunes moudjahidines venus des villes et des campagnes l’encourage et puis il ne faut pas craindre de le dire, il n’a pas le choix. Les Français n’ont plus confiance en lui, il ne lui reste plus qu’à lutter et à mourir au milieu des siens. Pour clore ce chapitre, nous dirons que le peuple est tout pour nous. De lui dépend la victoire ou la défaite. Le CNRA est invité à se pencher sur ses besoins qui sont de deux ordres : les armes et l’argent. Les armes lui permettront de se défendre et l’argent de se nourrir. Nous devons de l’extérieur envoyer des secours en nature et en espèces. Si nous arrivons à faire face à ces deux besoins notre victoire est certaine et à brève échéance.

c. L’A.L.N.
L’ALN est l’ensemble des moujahidines, fidaïnes et des moussebelines lorsque ces derniers sont armés. Les unités qui la composent sont, le groupe, la section, la compagnie et le bataillon. L’ALN ne ressemble en rien à une armée de métier. L’ALN est d’abord et surtout une armée populaire qui vit et combat au sein du peuple. Exception faite de certaines régions montagneuses de Souk Ahras, des Aurès Nemmamchas et du Sud-Oran les groupes de l’ALN sont constamment dans les douars au sein de nos paysans. L’emploi du temps d’un groupe armé peut être schématisé de la façon suivante: le groupe arrive dans une mechta le plus souvent de nuit et s’installe dans une ou deux pièces qui sont mises à sa disposition. Le chef de groupe établit un tour de garde et désigne le premier guetteur qui viendra réveiller son camarade une ou deux heures après. Lorsqu’aucun travail n’est prévu pour la journée du lendemain, les hommes dorment jusqu’au lever du jour. Puis ils passent la journée à laver leur linge et à nettoyer leurs armes. Si l’ennemi est signalé par les guetteurs qui montent une garde vigilante sur les crêtes, le groupe se met vite en tenue de combat. Dans le cas où il existe dans les environs une zone de repli (forêt, ou terrain accidenté) les moujahidines quittent la mechta et se camouflent. Dans le cas ou le terrain est plat, alors ils choisissent l’emplacement et se mettent en position de combat et attendent l’ennemi. Le combat est engagé et dure très souvent jusqu’à la tombée de la nuit. L’obscurité permet généralement aux nôtres de franchir les lignes ennemies et de sortir du cercle.

La guerre pour nos moujahidines ne consiste pas seulement à se défendre, très souvent ils prennent l’initiative et attaquent, c’est le cas par exemple de l’embuscade ou de l’attaque des postes ennemis. L’embuscade est l’opération la plus payante. Les nôtres choisissent le lieu de l’embuscade et attendent passionnément le passage de l’ennemi pour l’attaquer par surprise. L’effet de surprise est terrible et très souvent les nôtres arrivent à massacrer et à désarmer des unités françaises supérieures en nombre et en matériel. L’attaque des postes ennemis peut être un simple harcèlement ou une prise d’assaut lorsque des complicités existent à l’intérieur du camp ennemi. Les unités de l’ALN comprennent une proportion importante de fellahs. Seuls les cadres sont généralement citadins ce qui donne à l’ALN un caractère profondément populaire trait que nous ne devons jamais perdre de vue si nous voulons nous éviter des déboires dans l’avenir. Le moral de l’ALN malgré la vie dure qu’elle mène est excellent. Aucun moudjahid ne parle de négociations, le thème des conversations est toujours le même : l’indépendance et surtout le grand défilé de la libération à Alger.

Le CNRA ne doit pas se fier à cet optimisme. Certes l’enthousiasme est un atout puissant entre nos mains, cependant nous devons tout faire pour fournir à ces hommes qui ont tout sacrifié les moyens de se défendre et de vaincre.

L’effectif de l’ALN est de l’ordre de 50 000 moudjahidines et fidaïne qui se répartissent ainsi :

Base de Souk-Ahras : 4 000 ; wilaya n°l : 10 000 ; wilaya n°2 : 6 000 ;

wilaya n°3 : 12 000 ;

wilaya n°4 : 4 000 ;

wilaya n°5 :6 000 ;

wilaya n°6 : 2 000.

L’effectif des mousseblines est aussi d’environ de 40 à 50 000.

En gros nous pouvons dire que nous avons 100 000 hommes qui combattent. Ces hommes ne sont malheureuse- ment pas tous armés.

Environ 35 à 40 000 hommes sont armés d’armes de guerre, le reste de fusils de chasse et de révolvers ou sans armes du tout.

Le problème des armes sur lequel nous reviendrons plus loin reste posé.

d. Les finances
Jusqu’au Congrès du 20 Août, le FLN a pu non seulement subvenir aux besoins de la révolution à l’intérieur du pays mais à économiser environ 1 milliard. Depuis le Congrès du 20 Août, la répression allant en s’accentuant, les res- sources du FLN ont terriblement diminué. Les chefs de wilaya ont été obligés de prélever des sommes importantes sur leurs réserves. Aujourd’hui, seules trois wilayas ont encore un peu d’argent : la wilaya n°3 possède 300 millions (alors qu’elle en avait 500 le 20 Août 56), la wilaya n°2 possède 100 millions (alors qu’elle en avait 200 le 20 Août 56) et la wilaya n°S possède 600 millions. Les autres wilayas n’ont pas de sous. Le CCE est obligé de prélever des sommes importantes en Kabylie et en Oranie pour aider Souk Ahras et les Aurès-Nemmamchas. Le CCE attire l’attention du CNRA sur ce problème qui conditionne tous les autres. Les sources à l’intérieur sont taries. C’est à l’extérieur et à l’extérieur seulement que nous devons chercher de l’argent pour faire face aux énormes dépenses que nécessitent l’achat de grosses quantité d’armes, l’entretien d’une multitude de militants qui travaillent à l’extérieur et aussi et surtout aux besoins vitaux des populations à l’intérieur du pays qui se débattent dans une misère effroyable.

Tous les chefs de wilaya lancent un cri d’alarme. Si nous voulons maintenir et augmenter le niveau de lutte du peuple, nous ne devons pas le laisser mourir de faim.

Chacun de nous devra faire son examen de conscience. Des sommes énormes sont dilapidées par nous à l’extérieur. L’esprit d’économie n’existe chez aucun d’entre nous. Nous vivons dans des palaces et au moindre de nos déplacements, nous louons un taxi, des voyages inutiles et onéreux sont effectués par les nôtres. Tous les jours des millions sont ainsi gaspillés alors que le peuple dans certaines régions comme à Ténès par exemple mange de l’herbe. Nous reviendrons sur cette question dans les perspectives d’avenir.

e. Les syndicats
Nous avons pris l’initiative en mars 1956 de créer une centrale syndicale nationale : l’UGTA. L’enthousiasme rencontré au départ fut immense. En quelques mois l’UGTA comptait pour la seule agglomération algéroise plus de 100 000 adhérents. Malheureusement l’UGTA comme toutes les organisations nationales fut prise pour cible par l’ennemi. Des arrestations massives furent opérées. Des milliers de syndicalistes sont aujould’hui dans les camps de concentration. A neuf reprises le secrétariat national de l’UGTA a été renouvelé en moins d’un an. Aujourd’hui tous les dirigeants de l’UGTA sont arrêtés et les locaux occupés par la police et l’armée française. Seuls ont échappé trois secrétaires nationaux qui se trouvent aujourd’hui à l’extérieur sont en rapport avec la CISL et les syndicats qui composent cette centrale internationale. En outre, ils participent à l’élaboration du projet d’unification des 3 centrales nord-africaines (UGTT-UGTA-UMT). La délégation de l’UGTA à l’extérieur devra se fixer pour tâche la formation des cadres grâce aux stages gratuits organisés par le CISL, de ramasser des fonds auprès de leurs camarades ouvriers en Tunisie et au Maroc, en Europe occidentale et en Amérique afin de subvenir aux besoins des familles de syndicalistes algériens emprisonnés et enfin à faire de la propagande pour l’UGTA et la Révolution algérienne dans les congrès, les conférences syndicaux internationaux. A côté de l’UGTA, nous avons aussi créé l’UGCA qui se trouve dans une situation identique à celle de la centrale ouvrière.

2. A l’extérieur.
a. Notre délégati
on
Notre délégation à l’extérieur représente indiscutablement une force par le nombre et par la qualité. C’est pour cela qu’elle n’a plus aucune excuse pour ne pas rendre. La crise d’autorité qui était un grand handicap a disparu. Le chef de la délé- gation aidé du responsable à la logistique devra procéder à une réorganisation de tout l’extérieur. Il serait souhaitable qu’il se choisisse un adjoint énergique chargé tout spécialement de veiller à l’application stricte d’une discipline de travail et un contrôle de toutes les dépenses du personnel de la délégation.

b. L’organisation du Maroc
L’organisation du Maroc est bien assise. L’effectif des militants est d’environ 6 000. Aucun Algérien habitant le Maroc n’échappe à notre contrôle. Tous contribuent, chacun dans la mesure de ses moyens, à l’effort de guerre. Les rentrées financières mensuelles sont de l’ordre de 20 à 25 millions. Cette puissante organisation nous permet de faire pression dans une certaine mesure sur les autorités marocaines et l’lstiqlal qui ne sont pas aussi bien disposés que les autorités tunisiennes et le destour à nous aider. L’ex-zone espagnole nous est très utile. Elle sert de refuge à nos éléments et là se trouvent les organismes vitaux de la Wilaya n°5. Avec un peu de bonne volonté les autorités marocaines pourraient nous faciliter l’installation de camps d’entraînement, d’écoles de cadres de tous genres, de centres de transmissions, etc. Il est à souhaiter qu’une imposante délégation aille rendre visite au sultan et au gouvernement marocain pour lui demander de nous aider plus efficacement.

c. L’organisation de Tunisie
Elle commence seulement à démarrer. Les crises successives ont mis par terre toute l’organisation qui, il est vrai, n’a jamais été bien solide. Les autorités tunisiennes à l’inverse des autorités marocaines sont beaucoup plus compréhensives à notre égard. Mais les possibilités sont ici limitées. Nous n’avons ni l’équivalent de l’ex-zone espagnole, ni la masse des jeunes algériens instruits qui habitent le Maroc ? Cependant, là encore, la formation de camps d’entraînement est possible à proximité des frontières. Si nous rencontrons au Maroc de très grandes diffcultés dans l’acheminement des armes, en Tunisie nous n’avons eu jusqu’ici aucune difficulté majeure. L’effectif des Algériens qui habitent la Tunisie et qui activent au sein du FLN est minime. Les éléments dynamiques vivent tous au maquis. Les rentrées financières sont très faibles ; 1 à 2 millions par mois. Il est vrai que les frais de la base de Tunis sont très élevés à cause de l’aide qu’elle apporte à la base de Souk Ahras et à la Wilaya n° 1 (traitement et soins aux malades et blessés, ravitaillement et habillement, etc.).

source : http://ait-benali.over-blog.com/

Texte intégral de la plate-forme de la Soummam

LA PLATEFORME DE LA SOUMMAM

POUR ASSURER LE TRIOMPHE DE LA REVOLUTION ALGERIENNE, DANS LA LUTTE POUR L’INDEPENDANCE NATIONALE

INTRODUCTION

Les extraits de la présente plate-forme d’action du FRONT DE LIBERATION NATIONALE ont pour objet de définir, d’une façon générale, la position du FLN, à une étape déterminante de la Révolution Algérienne. Elle est divisée en trois parties :

I) La situation politique actuelle.

II) Les perspectives générales.

III) Les moyens d’actions et de propagande.

I) LA SITUATION POLITIQUE ACTUELLE

A) L’ESSOR IMPETUEUX DE LA REVOLUTION ALGERIENNE

L’Algérie, depuis deux ans, combat avec héroïsme pour l’indépendance nationale.

La révolution patriotique et anticolonialiste est en marche.

Elle force l’admiration de l’opinion mondiale.

a. La Résistance armée.

En une période relativement courte, l’Armée de Libération Nationale, localisée dans l’Aurès et la Kabylie, a subi avec succès l’épreuve du feu.

Elle a triomphé de la compagne d’encerclement et d’anéantissement menée par une armée puissante, moderne, au service du régime colonialiste d’un des plus grands Etats du monde.

Malgré la pénurie provisoire d’armement, elle a développé les opérations de guérillas, de harcèlement, de sabotage, s’étendant aujourd’hui à l’ensemble du territoire national.

Elle a consolidé sans cesse ses positions en améliorant sa tactique, sa technique, son efficacité.

Elle a su passer rapidement de la guérilla au niveau de la guerre partielle.

Elle a su combiner harmonieusement les méthodes éprouvées des guerres anti-colonialistes avec les formes les plus classiques en les adoptant intelligemment aux particularités du pays.

Elle a déjà fourni la preuve suffisante, maintenant que son organisation militaire est unifiée, qu’elle possède la science de la stratégie d’une guerre englobant l’ensemble de l’Algérie.

L’Armée de Libération Nationale se bat pour une cause juste.

Elle groupe des patriotes, des volontaires, des combattants décidés à lutter avec abnégation jusqu’à la délivrance de la patrie martyre.

Elle s’est renforcée par le sursaut patriotique d’officiers, de sous-officiers et de soldats de carrière ou du contingent, désertant en masse avec armes et bagages les rangs de l’armée française.

Pour la première fois dans les annales militaires, la France ne peut plus compter sur le « loyalisme » des troupes algériennes. Elle est obligée de les transférer en France et en Allemagne.

Les Harkas de goumiers, recrutés parmi les chômeurs souvent trompés sur la nature du « travail » pour lequel ils étaient appelés, disparaissent dans le maquis. Certaines sont désarmées et dissoutes par les autorités mécontentes.

Les réserves humaines de l’ALN sont inépuisables. Elle est souvent obligée de refuser l’enrôlement des Algériens jeunes et vieux, des villes et campagnes, impatients de mériter l’honneur d’être soldats de leur « Armée ».

Elle bénéficie pleinement de l’amour du peuple algérien, de son soutien enthousiaste, de sa solidarité agissante, morale et matérielle, totale et indéfectible.

Les officiers supérieurs, les commandants de zones, les commissaires politiques, les cadres et soldats de l’Armée de Libération Nationale sont honorés comme des héros nationaux, glorifiés dans des chants populaires qui ont déjà pénétré aussi bien dans l’humble gourbi que la misérable Khaïma, la ghorfa des casbahs comme le salon des villas.

Telles sont les raisons essentielles du « miracle algérien » : l’ALN tenant en échec la force colossale de l’armée colonialiste française, renforcée par les divisions « atomiques » prélevées sur les forces de l’OTAN.

Voilà pourquoi en dépit des incessants renforts, jugés aussitôt insuffisants, malgré le quadrillage ou autre technique aussi inopérante que les déluges de feu, les généraux français sont obligés de reconnaître que la solution militaire est impossible pour résoudre le problème algérien.

Nous devons signaler particulièrement la formation de nombreux maquis urbains qui, d’ores et déjà, constituent une seconde armée sans uniforme.

Les groupes armés dans les villes et villages se sont notamment signalés par des attentats contre les commissariats de police, les postes de gendarmerie, les sabotages de bâtiments publics, les incendies, la suppression de gradés de la police, de mouchards, de traîtres.

Ce qui affaiblit d’une façon considérable l’armature militaire et policière de l’ennemi colonialiste, augmente la dispersion de ses forces sur l’ensemble du sol national, mais aussi accentue la détérioration du moral des troupes, maintenus dans un état d’énervement et de fatigue par la nécessité de rester sur un qui-vive angoissant.

C’est un fait indéniable que l’action de l’ALN a bouleversé le climat politique en Algérie.

Elle a provoqué un choc psychologique qui a libéré le peuple de sa torpeur de la peur, de son scepticisme.

Elle a permis au peuple algérien une nouvelle prise de conscience de sa dignité nationale.

Elle a également déterminé une union psycho-politique de tous les Algériens, cette unanimité nationale qui féconde la lutte armée et rend inéluctable la victoire de la liberté.

b. Une organisation politique efficace.

Le FRONT DE LIBERATION NATIONALE, malgré son activité clandestine, est devenu aujourd’hui l’unique organisation véritablement nationale. Son influence est incontestable et incontestée sur tout le territoire algérien.

En effet, dans un délai extrêmement court, le FLN a réussi le tour de force de supplanter tous les partis politiques existants depuis des dizaines d’années.

Cela n’est pas le fruit du hasard. C’est le résultat de la réunion des conditions indispensables suivantes :

1°) Le bannissement du pouvoir personnel et l’instauration du principe de la direction collective composée d’hommes propres, honnêtes, imperméables à la corruption, courageux, insensibles au danger, à la prison ou à la peur de la mort.

2°) La doctrine est claire. Le but à atteindre, c’est l’indépendance nationale. Le moyen, c’est la révolution par la destruction du régime colonialiste.

3°) L’union du peuple est réalisée dans la lutte contre l’ennemi commun, sans sectarisme :

Le FLN affirmait au début de la Révolution que « la libération de l’Algérie sera l’œuvre de TOUS les Algériens et non pas celle d’une fraction du peuple algérien, quelque soit son importance ». C’est pourquoi le FLN tiendra compte dans sa lutte de toutes les forces anti-colonialistes, même si elles échappent à son contrôle.

4°) La condamnation définitive du culte de la personnalité, la lutte ouverte contre les aventuriers, les mouchards, les valets de l’administration, indicateurs ou policiers. D’où la capacité du FLN à déjouer les manœuvres politiques et les traquenards de l’appareil policier français.

Cela ne saurait signifier que toutes les difficultés seraient complètement effacées.

Notre action politique a été handicapée au départ pour les raisons ci-après :

1°) L’insuffisance numérique des cadres et des moyens matériels et financiers.

2°) La nécessité d’un long et dur travail de clarification politique, d’explication patiente et persévérante pour surmonter une grave crise de croissance.

3°) L’impératif stratégique de SUBORDONNER TOUT AU FRONT DE LA LUTTE ARMEE.

Cette faiblesse, normale et inévitable au début, est déjà corrigée, après la période où il se contentait de lancer uniquement des mots d’ordre de résistance à l’impérialisme, on a assisté à une réelle apparition du FLN sur le plan de la lutte politique.

Ce redressement fut marqué par la grève d’anniversaire du 1er novembre 1955, considérée comme l’événement décisif, tant par son aspect spectaculaire et positif que par son caractère profond, preuve de la « prise en main » de toutes les couches de la population.

Jamais, de mémoire d’Algérie, aucune organisation politique n’avait obtenu une grève aussi grandiose dans les villes et villages du pays.

D’autre part, le succès de la non-coopération politique lancée par le FLN est non moins probant. La cascade de démissions des élus patriotes suivie de celles des élus administratifs ont imposé au gouvernement français la non-prorogation du mandat des députés du Palais Bourbon, la dissolution de l’Assemblée Algérienne. Les conseils généraux et municipaux et les djemaa ont disparu, vide accentué et amplifié par la démission de nombreux fonctionnaires et auxiliaires de l’autorité coloniale, caïds, chefs de fraction, gardes champêtres. Faute de candidatures ou de remplaçants, l’administration française est disloquée; son armature considérée comme insuffisante ne trouve aucun appui parmi le peuple; dans presque toutes les régions elle coexiste avec l’autorité du FLN.

Cette lente mais profonde désagrégation de l’administration française a permis la naissance puis le développement d’une dualité de pouvoir. Déjà fonctionne une administration révolutionnaire avec des djemaa clandestines et des organismes s’occupant du ravitaillement, de perception d’impôts, de la justice, du recrutement de moudjahidine, des services de sécurité et de renseignements. L’administration du FLN prendra un nouveau virage avec l’institution des assemblées du peuple qui seront élues par les populations rurales avant le deuxième anniversaire de notre révolution.

Le sens politique du FLN s’est vérifié d’une façon éclatante par l’adhésion massive des paysages pour lesquels la conquête de l’indépendance nationale signifie en même temps la réforme agraire qui leur assurera la possession des terres qu’ils fécondent de leur labeur.

Cela se traduit par l’éclosion d’un climat insurrectionnel qui s’est étendu avec rapidité et une forme variée à tout le pays.

La présence d’éléments citadins, politiquement mûrs et expérimentés, sous la direction lucide du FLN, a permis la politisation des régions retardataires. L’apport des étudiants a été d’une grande utilité, notamment dans les domaines politiques, administratif et sanitaire.

Ce qui est certain, c’est que la Révolution Algérienne vient de dépasser avec honneur une première étape historique.

C’est une réalité vivante ayant triomphé du pari stupide du colonialisme français prétendant la détruite en quelques mois.

C’est une révolution organisée et non une révolte anarchique.

C’est une lutte nationale pour détruire le régime anarchique de la colonisation et non une guerre religieuse. C’est une marche en avant dans le sens historique de l’humanité et non un retour vers le féodalisme.

C’est en fin la lutte pour la renaissance d’un Etat Algérien sous la forme d’une république démocratique et sociale et non la restauration d’une monarchie ou d’une théocratie révolues.

c. La faillite des anciennes formations politiques.

La Révolution Algérienne a accéléré la maturité politique du peuple algérien. Elle lui a montré, à la lumière de l’expérience décisive du combat libérateur, l’impuissance du réformisme et la stérilité du charlatanisme contre-révolutionnaire.

La faillite des vieux partis a éclaté au grand jour.

Les groupements divers ont été disloqués. Les militants de base ont rejoint le FLN. L’UDMA dissoute et les Oulama se sont alignés courageusement sur les positions du FLN ; l’UGEMA groupant tous les universitaires et lycéens, a proclamé par la voix de son congrès unanime le même sentiment.

Le Comité central du M.T.L.D. a complètement disparu en tant que regroupement ex-dirigeants et en tant que tendance politique.

Le Messalisme en déroute

L e M.N.A., en dépit de la démagogie et de la surenchère, n’a pas réussi à surmonter la crise mortelle du M.T.L.D. Il conservait une assise organique seulement en France du fait de la présence de Messali en exil, de l’ignorance totale des émigrés de la réalité algérienne.

C’est de là que partaient les mots d’ordre, les fonds et les hommes en vue de la création en Algérie de groupes armés ou de maquis dissidents, destinés non à la participation à la lutte contre l’ennemi exécré des opérations de provocation et à saboter par le défaitisme, le désordre et l’assassinat, la Révolution Algérienne et ses dirigeants militaires et politiques.

L’activité sporadique et brève du M.N.A. s’était manifestée publiquement, dans les rares villes telles Alger, comme une secte contre-révolutionnaire dans des opérations de division (campagne antimozabite), de gangstérisme(racket de commerçants), de confusion et de mensonges (Messali, soi-disant créateur et chef de l’Armée de Libération Nationale).

Le messalisme a perdu sa valeur de courant politique. Il est devenu de plus en plus un état d’âme qui s’étiole chaque jour.

Il est particulièrement significatif que les derniers admirateurs et défenseurs de Messali soient précisément les journalistes et intellectuels proches de la présidence du gouvernement français. Ils prétendent dénoncer l’ingratitude du peuple algérien qui ne reconnaîtrait plus «les mérites exceptionnels de Messali, le créateur, il y a trente ans, du nationalisme algérien ».

La psychologie de Messali s’apparente à la conviction insensée du coq de la fable qui ne se contente pas de constater l’aurore, mais proclame « qu’il fait lever le soleil ».

Le nationalisme Algérien dont Messali revendique effrontément l’initiative est un phénomène de caractère universel, résultat d’une évolution naturelle suivie par tous les peuples sortant de leur léthargie.

Le soleil se lève sans que le coq soit pour quelque chose, comme la Révolution Algérienne triomphe sans que Messali y ait aucun mérite.

Cette apologie du messalisme dans la presse française était un indice sérieux de la préparation psychologique d’un climat artificiel favorable à une manœuvre de grande envergure contre la Révolution Algérienne.

C’est la division, arme classique du colonialisme.

Le gouvernement français a tenté en vain d’opposer au FLN des groupements modérés, voire même le groupe des «61». Ne pouvant plus compter sur les Sayah ou Farès, le béni-oui-ouisme étant discrédité d’une façon définitive et sans retour, le colonialisme français espérait utiliser le chef du MNA dans son ultime manœuvre diabolique pour tenter de voler au peuple algérien sa victoire.

Dans cette perspective, Messali représente, en raison de son orgueil et de son manque de scrupules, l’instrument parfait pour la politique impérialiste.

Ce n’est dons pas par hasard que Jacques Soustelle pouvait affirmer en novembre 1956 au professeur Massignon : « Messali est ma dernière carte ».

Le ministre résidant Lacoste ne se gêne pas pour confier à la presse colonialiste algérienne sa satisfaction de voir le MNA s’efforcer uniquement d’affaiblir le FLN.

L’hebdomadaire socialiste «Demain», dévoilant les divergences tactiques divisant les gouvernants français, pouvait écrire que certains ministres étaient disposés, pour empêcher le renforcement du FLN à accorder à Messali sa liberté totale, «le seul problème étant de protéger la vie du leader algérien».

Quand on se rappelle que Messali s’est livré à une violente attaque contre les pays arabes, ce qui ne peut que réjouir les Soustelle, Lacoste et Borgeaud, son déplacement d’Angoulême à Belle-Isle justifie la thèse du journal «Demain».

Lorsque la vie de Messali est si précieuse pour le colonialisme français, faut-il s’étonner de le voir glisser vers la trahison consciente.

Le Communisme Absent

Le P.C.A., malgré son passage dans l’illégalité et la publicité tapageuse dont la presse colonialiste l’a gratifié pour justifier la collusion imaginaire avec la Résistance Algérienne, n’a pas réussi à jouer un rôle qui mériterait d’être signalé.

La direction communiste, bureaucratique, sans aucun contact avec le peuple, n’a pas été capable d’analyser correctement la situation révolutionnaire. C’est pourquoi elle a condamné le «terrorisme» et ordonné dès les premiers mois de l’insurrection aux militants des Aurès, venus à Alger chercher des directives, DE NE PAS PRENDRE LES ARMES.

La sujétion au P.C.F. a pris le caractère d’un Béni-oui-ouisme avec le silence qui a suivi le vote des pouvoirs spéciaux.

Non seulement les communistes algériens n’ont pas eu suffisamment de courage pour dénoncer cette attitude opportuniste du groupe parlementaire, mais ils n’ont pas soufflé mot sur l’abandon de l’action concrète contre la guerre d’Algérie : manifestations contre les renforts de troupes, grèves de transports, de la marine marchande, des ports et des docks, contre le matériel de guerre.

Le P.C.A. a disparu en tant qu’organisation sérieuse à cause surtout de la prépondérance en son sein d’éléments européens dont l’ébranlement des convictions nationales algériennes artificielles a fait éclater les contradictions face à la résistance armée.

Cette absence d’homogénéité et la politique incohérente qui en résulte ont pour origine fondamentale la confusion et la croyance en l’impossibilité de la libération nationale de l’Algérie avant le triomphe de la révolution prolétarienne en France.

Cette idéologie qui tourne le dos à la réalité est une réminiscence des conceptions de la S.F.I.O., favorable à la politique d’assimilation passive et opportuniste.

Niant le caractère révolutionnaire de la paysannerie et des fellahs algériens en particulier, elle prétend défendre la classe ouvrière algérienne contre le danger problématique de tomber sous la domination directe de la «bourgeoisie arabe», comme si l’indépendance nationale de l’Algérie devait suivre forcément le chemin des Révolutions manquées, voire même de faire marche arrière vers un quelconque féodalisme.

La C.G.T., subissant l’influence communiste, se trouve dans une situation analogue et tourne à vide sans pouvoir énoncer et appliquer le moindre mot d’ordre d’action.

La passivité générale du mouvement ouvrier organisé, aggravée dans une certaine mesure par l’attitude néfaste des syndicats F.O. et C.F.T.C., n’est pas la conséquence du manque de combativité des travailleurs des bras croisés, les directives de Paris.

Les dockers d’Alger en ont donné la preuve en participant à la grève politique anniversaire du 1ernovembre 1956.

Nombreux furent les travailleurs qui ont compris que cette journée d’action patriotique aurait revêtu un caractère d’unanimité nationale, plus démonstrative, plus dynamique, plus féconde, si les organisations ouvrières avaient été entraînées intelligemment dans la lutte générale par une véritable centrale syndicale nationale. Cette appréciation juste se trouve entièrement confirmée dans les succès complets de la grève générale patriotique du 5 juillet 1956.

Voila pourquoi les travailleurs algériens ont salué la naissance de l’U.G.T.A., dont le développement continu est irrésistible, comme l’expression de leur désir impatient de prendre une part plus active à la destruction du colonialisme, responsable du régime de misère, de chômage, d’émigration et d’indignité humaine.

Cette extension du sentiment national, en même temps que son passage à niveau qualificatif plus élevé, n’a manqué de réduire, comme une peau de chagrin, la base de masse du P.C.A., déjà rétrécie par la perte des éléments européens hésitants et instables.

On assiste cependant à certaines initiatives émanant à titre individuel de certains communistes s’efforçant de s’infiltrer dans les rangs du F.L.N. et de l’A.L.N. Il est possible qu’il s’agisse là de sursauts individuels pour retourner à une saine conception de la libération nationale.

Il est certain que le P.C.A. essaiera dans l’avenir d’exploiter ces « placements » dans le but de cacher son isolement total et son absence dans le combat historique de la Révolution Algérienne.

B) LA STRATEGIE IMPERIALISTE FRANCAISE.

La Révolution Algérienne, détruisant impitoyablement tous les pronostics colonialistes et faussement optimistes, continue de se développer avec une vigueur exceptionnelle, dans une phase ascendante de longue portée.

Elle ébranle et ruine ce qui reste de l’empire colonial français en déclin.

Les gouvernements successifs de Paris sont en proie à une crise politique sans précédant. Obligés de lâcher les colonies d’Asie, ils croient pouvoir conserver celles d’Afrique. Ne pouvant faire face au « pourrissement » de l’Afrique du Nord, ils ont lâché du lest en Tunisie et au Maroc pour tenter de garder l’Algérie.

a) La leçon des expériences tunisiennes et marocaines.

Cette politique sans perspectives réalistes s’est traduite notamment par la succession rapide de défaites morales dans tous les secteurs :

Mécontentement en France, grèves ouvrières, révoltes de commerçants, agitation chez les paysans, déficit budgétaire, inflation, sous-production, marasme économique, question algérienne à l’ONU, abandon de la Sarre en Allemagne.

La poussée révolutionnaire nord-africaine, malgré l’absence d’une stratégie politique commune en raison de la faiblesse organique de ce qu’a été le Comité de Libération du Maghreb, a acculé le colonialisme français à improviser une tactique défense hâtive, bouleversant tous les plans de la répression esclavagiste traditionnelle.

Les conventions franco-tunisiennes qui devaient jouer le rôle de barrage néo-colonialiste ont été dépassées sous la pression conjuguée du mécontentement populaire et des coups portés à l’impérialisme dans les trois pays frères.

Le rythme de l’évolution de la crise marocaine, l’entrée en lutte armée des montagnards venant renforcer la résistance citadine, et surtout la pression de la révolution algérienne ont été parmi les facteurs les plus déterminants du revirement de l’attitude officielle française et de l’indépendance marocaine.

Le brusque changement de méthode du gouvernement colonialiste abandonnant l’immobilisme pour s’engager dans la recherche d’une solution rapide était dicté d’abord par des raisons de caractère stratégique.

Il s’agissait :

1°) D’empêcher la constitution d’un véritable second front, en mettant fin à l’unification de la lutte armée au RIFF et en ALGERIE.

2°) D’achever de briser l’unité de combat des trois pays d’Afrique du Nord.

3°) D’isoler la Révolution Algérienne dont le caractère populaire la rendait nettement plus dangereuse.

Tous les calculs ont été voués à l’échec. Les négociations menées séparément avaient pour but de tenter de duper ou de corrompre certains dirigeants des pays frères en les poussant à abandonner consciemment ou inconsciemment le terrain réel de la lutte révolutionnaire jusqu’au bout.

La situation politique nord-africaine est caractérisée par le fait que le problème algérien se trouve encastré dans les problèmes marocain et tunisien pour n’en faire qu’un seul.

En effet, sans l’indépendance de l’Algérie, celle du Maroc et de la Tunisie est un leurre.

Les Tunisiens et les Marocains n’ont pas oublié que la conquête de leurs pays respectifs par la France a suivi la conquête de l’ALGERIE.

Les peuples du MAGHREB sont aujourd’hui convaincus par l’expérience que la lutte en ordre dispersé contre l’ennemi commun n’a pas d’autre issue que la défaite pour tous, chacun pouvant être écrasé séparément.

C’est une aberration de l’esprit que de croire que le Maroc et la Tunisie pouvaient jouir d’une indépendance réelle alors que l’Algérie restera sous le joug colonial.

Les gouvernants colonialistes, experts en hypocrisie diplomatique, reprenant d’une main ce qu’ils cèdent de l’autre, ne ma, queront pas de songer à la reconquête de ces pays dès la conjoncture internationale leur semblera favorable.

D’ailleurs, il est important de souligner que les leaders marocains et tunisiens formulent dans des déclarations récentes et renouvelées des points de vue rejoignant l’appréciation du FLN.

b) La politique algérienne du gouvernement.

Le gouvernement à direction socialiste dès le 6 février, après la manifestation ultra colonialiste d’Alger, a abandonné les promesses électorales du Front républicain : Ramener la paix en Algérie par la négociation, renvoyer dans leurs foyers les soldats du contingent, briser les « féodalités » administratives et financières, libérer les prisonniers politiques, fermer les camps de concentration.

Si, avant la démission de Mendès-France, celui-ci représentait au gouvernement la tendance à la négociation face à la tendance opposée, animée furieusement par Bourgès-Maunoury et Lacoste, aujourd’hui, c’est la politique Lacoste qui fait l’unanimité. C’est la guerre à outrance qui a pour but chimérique de tenter d’isoler le maquis du peuple par l’extermination.

Devant cet objectif accepté par l’unanimité du gouvernement et la presque totalité du parlement français, il ne peut exister aucune divergence, sauf quand cette politique d’extermination dite «de pacification » aura échouée. Il est clair que les buts politiques déclarés à nouveau par Guy Mollet ne servent qu’à camoufler l’entreprise réelle qui veut être le nettoyage, par le vide, de toutes nos forces vives.

L’offensive militaire est doublée d’une offensive politique condamnée, d’avance, à un échec.

La «reconnaissance de la personnalité algérienne» reste une formule vague sans contenu réel, concret, précis. La solution politique exprimée d’une façon schématique n’avait au début d’autres supports que deux idées-forces : celle de la consultation des Algériens par des élections libres et celle du cessez-le-feu. Les réformes fragmentaires et dérisoires étaient proclamées dans l’indifférence générale : provisoirement pas de représentation parlementaire au Palais Bourbon, dissolution de l’Assemblée algérienne, épuration timide de la police, remplacement de «trois» hauts fonctionnaires, augmentation des salaires agricoles, accès des musulmans à la fonction publique et à certains postes de directions, réforme agraire, élections au collège unique. Aujourd’hui le gouvernement Guy Mollet annonce l’existence de 6 ou 7 projets de statuts pour l’Algérie, dont la ligne générale serait la création de deux assemblées, la première législative, la seconde économique, avec un gouvernement composé de ministres ou de commissaires et présidé d’office par un ministre du gouvernement français.

Cela démontre d’une part l’évolution, grâce à notre combat, de l’opinion publique en France, et d’autre part le rêve insensé des gouvernants français de croire que nous accepterions un compromis honteux de ce genre.

La tentative d’isoler les maquis de la solidarité du peuple algérien, préconisée par Naegelen sur le plan intérieur, devait être complétée par la tentative d’isoler la Révolution Algérienne de la solidarité des peuples anti-colonialistes, engagée par Pineau sur le plan extérieur.

Le FLN déjouera comme par le passé les plans futurs de l’adversaire.

Nous mentionnerons l’appréciation sur la situation internationale dans la troisième partie.

II) LES PERSPECTIVES POLITIQUES

La preuve est faite que la Révolution Algérienne n’est pas une révolte de caractère anarchique, localisée, sans coordination, sans direction politique, vouée à l’échec.

La preuve est faite qu’il s’agit au contraire d’une véritable révolution organisée nationale et populaire, centralisée, guidée par un état-major capable de la conduire jusqu’à la victoire finale.

La preuve est faite que le gouvernement français, convaincu de l’impossibilité d’une solution militaire, est obligé de rechercher une solution politique.

Voilà pourquoi le FLN, inversement, doit se pénétrer de ce principe :

La négociation suit la lutte à outrance contre un ennemi impitoyable, elle ne la précède jamais.

Notre position à cet égard est fonction de trois considérations essentielles pour bénéficier du rapport des forces :

1°) Avoir une doctrine politique claire ;

2°) Développer la lutte armée d’une façon incessante jusqu’à l’insurrection générale ;

3°) Engager une action politique d’une grande envergure.

A) POURQUOI NOUS COMBATTONS !

La Révolution Algérienne a la mission historique de détruire de façon définitive et sans retour le régime colonial odieux, décadent, obstacle au progrès et à la paix.

I. Les buts de guerre ;

II. Le cessez-le-feu ;

III. Négociations pour la paix.

I. Les buts de guerre

Les buts de guerre, c’est le point final de la guerre à partir duquel se réalisent les buts de paix. Les buts de guerre, c’est la situation à laquelle on accule l’ennemi pour lui faire accepter nos buts de paix. Ce peut être la victoire militaire ou bien la recherche d’un cessez-le-feu ou d’un Armistice en vue de négociations. Il ressort que, vu notre situation, nos buts de guerre sont politico-militaires. Ce sont :

1°) L’affaiblissement total de l’Armée française, pour lui rendre impossible une victoire par les armes ;

2°) La détérioration sur une grande échelle de l’économie colonialiste par le sabotage, pour rendre impossible l’administration normale du pays ;

3°) La perturbation au maximum de la situation en France sur le plan économique et social, pour rendre impossible la continuation de la guerre;

4°) L’isolement politique(de la France) en Algérie et dans le monde ;

5°) Donner à l’insurrection un développement tel qu’il la rend conforme au droit international(personnalisation de l’armée, pouvoir politique reconnaissable, respect des lois de la guerre, administration normale de zones libérées par l’ALN) ;

6°) Soutenir constamment le peuple devant les efforts d’extermination des Français.

II. Cessez- le-feu

Conditions

a) Politiques :

1°) Reconnaissance de la Nation Algérienne indivisible.

Cette clause est destinée à faire disparaître la fiction colonialiste de « Algérie française ».

2°) Reconnaissance de l’indépendance de l’Algérie et de sa souveraineté dans tous les domaines, jusque et y compris la défense nationale et la diplomatie.

3°) Libération de tous les Algériens et Algériennes emprisonnés, internés ou exilés en raison de leur activité patriotique avant et après l’insurrection nationale du 1er novembre 1954.

4°) Reconnaissance du FLN comme une seule organisation représentant le peuple algérien et seule habilitée en vue de toute négociation. En contre-partie, le FLN est garant et responsable du cessez-le-feu au nom du peuple algérien.

b) Militaires

Les conditions militaires seront précisées ultérieurement.

III. Négociations pour la paix

1°) Les conditions sur le cessez- le- feu étant remplies, l’interlocuteur valable et exclusif pour l’Algérie demeure le FLN. Toutes les questions ayant trait à la représentativité du peuple algérien sont du ressort exclusif du FLN (gouvernement, élections, etc….). Aucune ingérence de ce fait de la part du gouvernement français n’est admise.

2°) Les négociations se font sur la base de l’indépendance (diplomatie et défense nationale incluses).

3°) Fixation des points de discussions :

– Limites du territoire algérien(limites actuelles y compris le Sahara algérien) ;

– Minorité française(sur la base de l’option entre : citoyenneté algérienne ou étrangère – pas de régime préférentiel – pas de double citoyenneté algérienne et française) ;

– Biens français: de l’Etat français, des citoyens français ;

– Transfert des compétences(administration) ;

– Formes d’assistance et de coopération françaises dans les domaines économiques, monétaire, social, culturel, etc.…. ;

– Autres points.

Dans une deuxième phase, les négociations sont menées par un gouvernement chargé de préciser le contenu des têtes de chapitre. Ce gouvernement est issu d’une assemblée constituante, elle-même issue d’élections générales.

La Fédération Nord-africaine

L’Algérie libre et indépendante, brisant le colonialisme racial fondé sur l’arbitraire colonial, développera sur des bases nouvelles l’unité et la fraternité de la Nation Algérienne dont la renaissance fera rayonner sa resplendissante originalité.

Mais les Algériens ne laisseront jamais leur culte de la Patrie, sentiment noble et généreux, dégénérer en un nationalisme chauvin, étroit et aveugle.

C’est pourquoi ils sont en même temps des Nord-Africains sincères attachés, avec passion et clairvoyance, à la solidarité naturelle et nécessaire des trois pays du Maghreb.

L’Afrique du Nord est un TOUT par : La géographie, l’histoire, la langue, la civilisation, le devenir.

Cette solidarité doit donc se traduire naturellement dans la création d’une Fédération des trois Etats nord-africains.

Les trois peuples frères ont intérêt pour le commencement à organiser une défense commune, une orientation et une action diplomatique communes, la liberté des échanges, un plan commun et rational d’équipement et d’industrialisation, une politique monétaire, l’enseignement et l’échange concerté des cadres techniques, les échanges culturels, l’exploitation en commun de nos sous-sols et de nos régions sahariennes respectives.

Les tâches nouvelles du FLN pour préparer l’insurrection générale.

L’éventualité de l’ouverture des négociations pour la Paix ne doit en aucun cas donner naissance à une griserie du succès, entraînant inévitablement un dangereux relâchement de la vigilance et la démobilisation des énergies qui pourrait ébranler la cohésion politique du peuple.

Au contraire, le stade actuel de la révolution algérienne exige la poursuite acharnée de la lutte armée, la consolidation des positions, le développement des forces militaires et politiques de la Résistance.

L’ouverture des négociations et leur conduite à bonne fin sont conditionnées d’abord par le rapport des forces en présence.

C’est pourquoi, sans désemparer, il faut travailler avec ensemble et précision pour transformer l’Algérie en un camp retranché, inexpugnable. Telle est la tâche que doivent remplir avec honneur et sans délai le FLN et son Armée de Libération Nationale.

Dans ce but, reste valable plus que jamais le mot d’ordre fondamental :

Tout pour le Front de la Lutte Armée.

Tout pour obtenir une victoire décisive.

L’indépendance de l’Algérie n’est plus la revendication politique, le rêve qui a longtemps bercé le peuple algérien courbé sous le joug de la domination française.

C’est aujourd’hui un but immédiat qui se rapproche à une allure vertigineuse pour devenir, très bientôt, une lumineuse réalité.

Le FLN marche à pas de géants pour dominer la situation sur le plan militaire, politique et diplomatique.

Objets nouveaux : préparer dès maintenant, d’une façon systématique, l’insurrection générale, inséparable de la libération nationale.

a) Affaiblir l’armature militaire, policière, administrative et politique du colonialisme ;

b) Porter une grande attention, et d’une manière ininterrompue, aux cotés techniques de la question, notamment l’acheminement du maximum de moyens matériels ;

c) Consolider et élever la synchronisation de l’action politico-militaire.

Faire face aux inévitables manœuvres de division, de divergence ou d’isolement lancé par l’ennemi, par une contre-offensive intelligente et vigoureuse basée sur l’amélioration et le renforcement de la Révolution populaire libératrice.

a) Cimenter l’union nationale anti-impérialiste ;

b) S’appuyer d’une façon plus particulière sur les couches sociales les plus nombreuses, les plus pauvres, les plus révolutionnaires, fellahs, ouvriers agricoles ;

c) Convaincre avec patiente et persévérance les éléments retardataires, encourager les hésitants, les faibles, les modérés, éclairer les inconscients ;

d) Isoler les ultra-colonialistes en recherchant l’alliance des éléments libéraux, d’origine européenne ou juive, même si leur action est encore timide ou neutraliste.

Sur le plan extérieur, rechercher le maximum de soutien matériel, moral et psychologique.

a) Augmenter le soutien de l’opinion publique ;

b) Développer l’aide diplomatique en gagnant à la cause algérienne les gouvernements des pays neutralisés par la France ou insuffisamment informés sur le caractère national de la guerre d’Algérie.

III) MOYENS D’ACTION ET DE PROPAGANDE

Les perspectives politiques générales tracées précédemment mettent en relief la valeur et la variété des moyens d’action que le FLN doit engager pour assurer la victoire complète du noble combat pour l’indépendance de la patrie martyre.

Nous allons en préciser les grandes lignes sur le plan algérien, nord-africain, français et étranger.

1°) Comment organiser et diriger des millions d’hommes dans un gigantesque combat .

L’union psyco-politique du peuple algérien forgée et consolidée dans la lutte armée est aujourd’hui une réalité historique.

Cette union nationale, patriotique, anticolonialiste, constitue la base fondamentale de la principale force politique et militaire de la Résistance.

Il convient de la maintenir intacte, inentamée, dynamique, en évitant parfois les fautes impardonnables de sectarisme ou d’opportunisme, pouvant favoriser les manœuvres diaboliques de l’ennemi.

Le meilleur moyen d’y parvenir, c’est de maintenir le FLN comme guide unique de la Révolution Algérienne ; cette condition ne doit pas être interpréter comme un sentiment de vanité égoïste ou un esprit de suffisance aussi dangereux que méprisable.

C’est l’expression d’un principe révolutionnaire : réaliser l’unité de commandement dans un état-major qui a déjà donné les preuves de sa capacité, de sa clairvoyance, de sa fidélité à la cause du peuple algérien.

Il ne faut jamais oublier que, jusqu’au déclenchement de la Révolution, la force de l’impérialisme français ne résidait pas seulement dans sa puissance militaire et policière, mais aussi dans la faiblesse du pays dominé, divisé, mal préparé à la lutte organisée, et surtout, pendant une longue période, de l‘insuffisance politique des dirigeants des diverses fractions du mouvement anti-colonialiste.

L’existence d’un FLN puissant, prolongeant ses racines profondes dans toutes les couches du peuple, est une des garanties indispensables.

a) Installer organiquement le FLN dans tout le pays, dans chaque ville, village, mechta, quartier, entreprise, ferme, université, collège, etc.. ;

b) Politiser le maquis ;

c) Avoir une politique de cadres formés politiquement, éprouvés, veillant au respect de la structure de l’organisation, vigilants, capables d’initiatives ;

d) Répondre avec rapidité et clarté à tous les mensonges, dénoncer les provocations, populariser les mots d’ordre du FLN en éditant une littérature abondante, variée touchant les secteurs même les plus restreints.

Multiplier les centres de propagande avec machines à écrire, papier, ronéo(reproduction des documents nationaux et édition de bulletins ou tracts locaux).

Editer brochure sur la Révolution et bulletin intérieur pour directives et conseils aux cadres.

Bien se pénétrer de ce principe : La propagande n’est pas l’agitation qui se caractérise par la violence verbale, souvent stérile et sans lendemain. En ce moment ou le peuple algérien est mûr pour l’action armée positive et féconde, le langage du FLN doit traduire sa maturité en prenant la forme sérieusement, mesurée et nuancée sans manquer pour cela de la fermeté, de la franchise et de la flamme révolutionnaire.

Chaque tract, déclaration, interview ou proclamation du FLN a aujourd’hui une résonance internationale. C’est pourquoi nous devons agir avec un réel esprit de responsabilité qui fasse honneur au prestige mondial de l’Algérie en marche vers la liberté et l’indépendance.

2°) Clarifier le climat politique

Pour conserver juste l’orientation de la Résistance toute entière, dressée pour détruire l’ennemi séculaire, nous devons balayer tous les obstacles et tous les écrans sur notre chemin par les éléments conscients ou inconscients d’une action néfaste, condamnés par l’expérience.

3°) Transformer le torrent populaire en énergie créatrice

Le FLN doit être capable de canaliser les immenses vagues qui soulèvent l’enthousiasme patriotique de la nation. La puissance irrésistible de la colère populaire ne doit pas se perdre comme la force extraordinaire du torrent qui s’évanouit dans les sables.

Pour la transformer en énergie créatrice le FLN a entrepris un colossal travail de brassage de millions d’hommes.

Il s’agit d’être présent partout.

Il faut organiser sous des formes multiples, souvent complexes, toutes les branches de l’activité humaine.

A) Le Mouvement Paysan

La participation massive de la population des fellahs, khammès et ouvriers agricoles à la Révolution, la proportion dominante qu’elle représente dans les moudjahidine ou moussebiline de l’Armée de Libération Nationale ont profondément marqué le caractère de la Résistance algérienne.

Pour en mesurer l’importance exceptionnelle, il suffit d’examiner le revirement spectaculaire de la politique agraire colonialiste.

Alors que cette politique était basée essentiellement sur le vol des terres (habous, arch, melk) les expropriations s’étant poursuivies jusqu’en 1945-46, le gouvernement français préconise aujourd’hui la réforme agraire. Il ne recule pas devant la promesse de distribuer une partie des terres d’irrigation, en mettant en application la loi Martin restée lettre morte à la suite du veto personnel d’un haut fonctionnaire au service de la grosse colonisation. Lacoste lui-même ose envisager, dans ce cas, une mesure révolutionnaire : l’expropriation d’une partie des grands domaines.

Par souci d’équilibre, pour apaiser la furieuse opposition des gros colons, le gouvernement français a décidé la réforme du Khammessat. C’est là une mesure trompeuse tendant à faire croire à l’existence d’une rivalité intestine entre fellahs et Khammés, alors que le métayage a déjà évolué naturellement vers un processus plus équitable, sans l’intervention officielle, pour se transformer généralement en « chourka benés » ou l’association par moitié.

Ce changement de tactique traduit le profond désarroi du colonialisme voulant tenter de tromper la paysannerie pour la détacher de la Révolution.

Cette manœuvre grossière de dernière heure ne dupera pas les fellahs qui ont déjà mis en échec la vielle chimère des «affaires indigènes» séparant artificiellement les Algériens en Berbères et Arabes hostiles.

Car la population paysanne est profondément convaincue que sa soif de terre ne pourra être satisfaite que par la victoire de l’indépendance nationale.

La véritable réforme patriotique de la misère des campagnes, est inséparable de la destruction totale du régime colonial.

Le FLN doit s’engager dans cette politique juste, légitime et sociale. Elle aura pour conséquence :

a) La haine irréductible à l’endroit du colonialisme français, de son administration, de son armée, de sa police et des traîtres collaborateurs.

b) La constitution de réserves humaines inépuisables pour l’ALN et la Résistance ;

c) L’extension de l’insécurité dans les campagnes(sabotages, incendies de fermes, destruction des tabacoops et des vinicoops, symboles de la présence colonialiste) ;

d) La création des conditions pour la consolidation et l’organisation de nouvelles zones libérées.

B) Le Mouvement Ouvrier

La classe ouvrière peut et doit apporter une contribution plus dynamique pouvant conditionner l’évolution rapide de la Révolution, sa puissance et son succès final.

Le FLN salue la création de l’U.G.T.A. comme l’expression d’une saine réaction des travailleurs contre l’influence paralysante des dirigeants de la C.G.T., de F.O. et de la C.F.T.C..

L’U.G.T.A. aide la population salariée à sortir du brouillard de la confusion et de l’attentisme.

Le gouvernement socialiste français et la direction néo-colonialiste de F.O. sont inquiets de l’affiliation internationale de l’U.G.T.A. à la C.I.S.L., dont l’aide à l’U.G.T.A. et à la Centrale marocaine a été positive dans divers domaines nationaux et extérieurs.

La naissance et le développement de l’U.G.T.A. ont eu en effet un profond retentissement. Son existence a provoqué immédiatement un violent remous au sein de la C.G.T, abandonnée en masse par les travailleurs. Les dirigeants communistes ont essayé vainement de retenir les cadres les plus conscients en essayant de retrouver sous les cendres l’esprit de l’ancienne C.G.T.U. dont le mot d’ordre de l’indépendance de l’Algérie fut enterré au lendemain de l’unité syndicale en 1935.

Mais pour devenir une centrale nationale, il ne suffit pas à la filiale de la C.G.T. parisienne de modifier le titre, ni de changer la couleur de la carte, ni même de couper un cordon ombilical atrophié.

Pour s’adapter aux fonctions nouvelles du mouvement ouvrier ayant déjà atteint l’âge adulte, il ne suffisait pas à l’U.G.S.A. de changer de forme ou d’aspect extérieur. Quiconque observe les velléités communistes, ne peut manquer de retrouver le rythme et la méthode colonialistes, qui ont présidé à la transformation des délégations financières en la bâtarde Assemblée Algérienne.

L’accession de certains militants à des postes de direction syndicale rappelle singulièrement la promotion symbolique de certains élus-administratifs.

Dans les deux cas, il aurait fallu changer le but, la nature et le contenu du Foyer civique et du Palais Carnot.

L’incapacité de la direction du P.C.A. sur le plan politique ne pouvait que se traduire sur le plan syndical et entraîner la même faillite.

L’U.G.T.A. est le reflet de la profonde transformation qui s’est produite dans le mouvement ouvrier, à la suite d’une longue évolution et surtout après le bouleversement révolutionnaire provoqué par la lutte pour l’indépendance nationale.

La nouvelle centrale algérienne diffère des autres organisations C.G.T.F.O. et C.F.T.C. dans tous les domaines, notamment par l’absence de tutelle, le choix de l’état-major, la structure rationnelle, l’orientation juste et la solidarité fraternelle en Algérie, en Afrique du Nord et dans le monde entier.

1°) Le caractère national se traduit non seulement par une indépendance organique, détruisant les contradictions inhérentes à une tutelle étrangère, mais aussi par une liberté totale dans la défense des travailleurs dont les intérêts vitaux se confondent avec ceux de toute la nation algérienne.

2°) La direction est formée non par des éléments issus d’une minorité ethnique n’ayant jamais subi l’oppression coloniale, toujours enclins au paternalisme, mais par des patriotes dont la conscience nationale aiguise la combativité contre la double pression de l’exploitation sociale et de la haine raciale.

3°) La « colonne vertébrale » est constituée non par une aristocratie ouvrière(fonctionnaires et cheminots) mais par les couches les plus nombreuses et les plus exploitées(dockers, mineurs, ouvriers agricoles, véritables parias jusqu’ici abandonnés honteusement à la merci des seigneurs de la vigne.

4°) Le souffle révolutionnaire purifie le climat syndical non seulement en chassant l’esprit néo-colonialiste et le chauvinisme national qu’il engendre, mais en créant les conditions pour l’épanouissement d’une fraternité ouvrière, imperméable au racisme.

5°) L’action syndicale, maintenue longtemps dans le cadre étroit des revendications économiques et sociales, isolée de la perspective générale, est devenue non un frein dans la lutte anti-colonialiste mais un accélérateur dans le combat pour la liberté et la justice sociale ;

6°) La population laborieuse algérienne, jugée jusqu’ici comme mineure ne méritant pas l’émancipation, est appelée, non à occuper un rang subalterne dans le mouvement social français, mais à coopérer brillamment avec le mouvement ouvrier nord-africain et international ;

7°) L’U.G.S.A. -C.G.T-, se verra inévitablement contrainte de se dissoudre à l’exemple des organisations similaires de Tunisie et du Maroc pour céder entièrement la place à l’U.G.T.A., centrale nationale authentique et unique, groupant tous les travailleurs algériens sans distinction.

Le FLN ne doit pas négliger le rôle politique qu’il peut jouer pour aider et compléter l’action syndicale indépendante de l’U.G.T.A. en vue de sa consolidation et de son renforcement.

Les militants FLN doivent être parmi les plus dévoués, les plus actifs, toujours soucieux de respecter les règles démocratiques selon la tradition en honneur dans le mouvement ouvrier libre.

Pas de schématisme: tenir compte de chaque situation concrète et adapter les formes d’actions aux conditions particulières, objectives de chaque corporation.

– Développer l’esprit de combativité en organisant sans retard l’action revendicative sous une forme souple et variée selon les conditions concrètes du moment(arrêt de travail limité, grèves locales, corporatives, de solidarité) ;

– Entraîner dans l’action, les travailleurs européens ;

– Concrétiser la sympathie pour l’ALN en transformant en action de soutien la résistance : souscriptions, fournitures aux combattants, actes de sabotage, grèves de solidarité, grèves politiques.

C) Le Mouvement des Jeunes

La jeunesse algérienne a les qualités naturelles de dynamisme, de dévouement et d’héroïsme.

De plus, elle se caractérise par un fait rare. Très nombreuse, elle représente près de la moitié de la population totale, en raison d’un développement démographique exceptionnel.

En outre, elle possède une qualité originale ; la maturité précoce. En raison de la misère, de l’oppression coloniale, elle passe rapidement de l’enfance à l’âge adulte ; la période de l’adolescence est singulièrement réduite.

Elle suit avec passion, avec le mépris de la peur et la mort, l’organisation révolutionnaire qui peut la conduire à la conquête de son pur idéal de liberté.

La Révolution Algérienne, les exploits de l’ALN et l’action clandestine du FLN répondent à sa témérité que nourrit le plus noble sentiment patriotique.

C’est donc pour le FLN un levier inflexible d’une puissance et d’une résistance formidables.

D) Intellectuels et Professions Libérales

Le ralliement des intellectuels à la patrie algérienne, le fait que la «francisation » n’a pas réussi à étouffer leur conscience nationale, la rupture avec les positions idéalistes individualistes ou réformistes, sont les preuves d’une saine orientation politique.

1°) Former des comités d’action des intellectuels patriotiques :

a) Propagande : indépendance de l’Algérie ;

b) Contacts avec les libéraux français ;

c) Souscriptions.

Le FLN devra assigner aux étudiants et étudiantes, d’une manière rationnelle, des tâches précises dans les domaines ou ils peuvent rendre le mieux : politique, administratif, culturel, sanitaire, économique, etc…

2°) Organiser des services de santé :

a) Chirurgiens, médecins, pharmaciens en liaison avec les hospitaliers(internes et infirmiers) ;

b) Soins, médicaments, pansements ;

c) Infirmiers de campagne, traitement des malades et convalescents.

E) Commerçants et Artisans

A côté du syndicat commercial algérien, dominé par le monopoleur Schiaffino, maître des chambres de commerce et le mouvement Poujade raciste et colonial-fasciste, se trouvait le vide constitué par l’absence d’une véritable Centrale commerciale et artisanale, dirigée par des patriotes pour assurer la défense de l’économie algérienne.

L’U.G.C.A. prendra donc une place importante à côté de l’organisation ouvrière sœur, l’U.G.T.A.

Le FLN doit l’aider à se dévelloper rapidement en créant les conditions politiques les plus favorables :

1°)Lutte contre les impôts.

2°)Boycott des grossistes colonialistes, poujadistes, apportant un soutien actif à la guerre impérialiste.

F) Mouvement des Femmes

D’immenses possibilités existent et sont de plus en plus nombreuses dans ce domaine.

Nous saluons avec émotion, avec admiration, l’exaltant courage révolutionnaire des jeunes filles et des jeunes femmes, des épouses et des mères ; de toutes nos sœurs « moudjahidates » qui participent activement, et parfois les armes à la main, à la lutte sacrée pour la libération de la Patrie.

Chacun sait que les Algériens ont chaque fois participé activement aux insurrections nombreuses et renouvelées qui ont dressé, depuis 1830, l’Algérie contre l’occupation française.

Les explosions principales de 1864 des Ouled Sidi Cheikh du Sud Oranais, de 1871 en Kabylie, de 1916 dans les Aurès et la région de Mascara ont illustré à jamais l’ardent patriotisme, allant jusqu’au sacrifice suprême, de la femme algérienne.

Celle-ci est aujourd’hui convaincue que la Révolution actuelle aboutira inexorablement à la conquête de l’indépendance.

L’exemple récent de la jeune fille kabyle qui repousse une demande en mariage, parce que n’émanant pas d’un maquisard illustre d’une façon magnifique le moral sublime qui anime les Algériennes.

Il est donc possible d’organiser dans ce domaine, avec des méthodes originales propres aux mœurs du pays, un redoutable et efficace moyen de combat.

a) Soutien moral des combattants et des résistants ;

b) Renseignements, liaisons, ravitaillement, refuges ;

c) Aide aux familles et enfants de maquisards, de prisonniers ou d’internés.

4°) L a recherche des alliances.

Pour libérer leur patrie enchaînée, les Algériens comptent d’abord sur eux-mêmes.

L’action politique, comme la science militaire, enseignement qu’il ne faut négliger aucun facteur, même apparemment peu important, pour assurer la victoire.

L’action politique le FLN a entrepris avec succès la mobilisation de toutes les énergies nationales. Mais il ne laissera pas l’ennemi colonialiste s’appuyer sur la totalité de la minorité ethnique en Algérie, dresser contre nous l’opinion en France et nous priver de la solidarité internationale.

A) Les Libéraux Algériens

A la différence de la Tunisie et du Maroc la minorité ethnique d’origine européenne a une importance numérique dont il faut tenir compte. Elle est renforcée par une immigration permanente jouissant d’une aide officielle et fournissant au régime colonial une fraction importante de ses soutiens les plus farouches, les plus obstinés, les plus racistes.

Mais en raison de ses privilèges inégaux, du rôle qu’elle joue dans la hiérarchie économique, administrative et politique du système colonialiste, la population d’origine européenne ne constitue pas un bloc indissoluble autour de la grosse colonisation dirigeante.

L’esprit de race supérieure est général. Mais il se manifeste sous des aspects nuancés, allant de la frénésie du type « sudiste » à l’hypocrisie paternaliste.

Le colonialisme français, maître tout-puissant de l’administration algérienne, de la police, du monopole de la presse, de la radio, s’est montré souvent capable d’exercer une pression psychologique pouvant cristalliser l’opinion publique autour d’une idée-force réactionnaire.

Le départ de Soustelle et la manifestation du 6 février ont été les preuves d’une grande habilité dans l’art de la provocation et du complot.

Le résultat fut la capitulation du chef du gouvernement français.

Pour atteindre son but, le colonialisme organisa la panique. Il accusa le gouvernement d’abandonner la minorité ethnique non-musulman à la « barbarie arabe », à la « guerre sainte », à un Saint-Barthélemy plus immonde.

Le slogan fabriqué par le maître chanteur Reygasse et diffusé par le bourreau Benquet-Crevaux, l’odieuse image « la valise ou le cercueil » semblent aujourd’hui anodins.

Les anciens partis nationalistes n’ont pas toujours accordé à cette question l’importance qu’elle mérite. Ne prêtant d’attention que pour l’opinion musulmane, ils ont négligé souvent de relever comme il convient des déclarations maladroites de certains charlatans ignorés, apportant en fait de l’eau au moulin de l’ennemi principal.

Actuellement, la contre-offensive est encore faible. La presse libérale de France ne put enrayer totalement le poison colonialiste. Les moyens d’expression du FLN sont insuffisants.

Heureusement la Résistance Algérienne n’a pas fait de faute majeure pouvant justifier les calomnies de la presse colonialiste du service psychologique de l’armée colonialiste, convaincu de mensonges flagrants par les témoignages de journalistes français et étrangers.

Voilà pourquoi le bloc colonialiste et raciste, sans fissure le 6 février, commence à se désagréger. La panique a cédé la place peu à peu à un sentiment plus réaliste. La solution militaire devant rétablir le statu-quo est un mirage évident. La question dominante aujourd’hui, c’est le retour à une paix négociée : quelle est la place qui sera faite à ceux qui considèrent l’Algérie comme patrie toujours généreuse même après la disparition du règne de Borgeaud ?.

Des tendances diverses apparaissent.

1°) Le neutralisme est le courant le plus important. Il exprime le souhait de laisser les ultra-colonialistes défendre leurs privilèges menacés par les nationalistes « extrémistes ».

2°) Les partisans d’une solution « intermédiaire » : la négociation pour « une communauté algérienne à égale distance entre le colonialisme français et le rétrograde impérialiste arabe » par la création d’une double nationalité ;

3°) La tendance la plus audacieuse accepte l’indépendance de l’Algérie et la nationalité algérienne, à la condition de s’opposer à l’ingérence américaine, anglaise et égyptienne.

Cette analyse est sommaire. Elle n’a d’autre but que de souligner la différenciation qui s’opère dans le large éventuel de l’opinion publique européenne.

Ce serait donc une erreur impardonnable que de mettre dans le « même sac » tous les Algériens d’origine européenne ou juive.

Comme il serait impardonnable de nourrir l’illusion de pouvoir les gagner entièrement à la cause de la libération nationale.

L’objectif à atteindre, c’est l’isolement de l’ennemi colonialiste qui opprime le peuple algérien.

Le FLN doit donc s’efforcer d’accentuer l’évolution de ce phénomène psychologique en neutralisant une fraction importante de la population européenne.

La Révolution Algérienne n’a pas pour but de « jeter à la mer » les Algériens d’origine européenne, mais de détruire le joug colonial inhumain.

La Révolution Algérienne n’est pas une guerre civile, ni une guerre de religion.

La Révolution Algérienne veut conquérir l’indépendance nationale pour installer une république démocratique et sociale garantissant une véritable égalité entre tous les citoyens d’une même patrie, sans discrimination.

B) La Minorité Juive

Ce principe fondamental, admis par la morale universelle, favorise la naissance dans l’opinion israélite d’un espoir dans le maintien d’une cohabitation pacifique millénaire.

D’abord, la minorité juive a été particulièrement sensible à la campagne de démoralisation du colonialisme. Des représentants de leur communauté ont proclamé au congrès mondial juif de Londres leur attachement à la citoyenneté française, les mettant au-dessus de leurs compatriotes musulmans.

Mais le déchaînement de la haine antisémite qui a suivi les manifestations colonialo-fascistes ont provoqué un trouble profond qui fait place à une saine réaction d’auto-défense.

Le premier réflexe fut de se préserver, du danger d’être pris entre deux feux. Il se manifeste par la condamnation des Juifs, membres du « 8 novembre » et du mouvement poujadiste, dont l’activité trop voyante pouvait engendrer le mécontentement vindicatif contre toute la communauté.

La correction inflexible de la Résistance Algérienne, réservant tous ses coups au colonialisme, apparut aux plus inquiets comme une qualité chevaleresque d’une noble colère des faibles contre les tyrans.

Des intellectuels, des étudiants, des commerçants prirent l’initiative de susciter un mouvement d’opinion pour se désolidariser des gros colons et des anti-juifs.

Ceux-là n’avaient pas la mémoire courte. Ils n’ont pas oublié l’infâme souvenir du régime de Vichy. Pendant quatre ans, 185 lois, décrets ou ordonnances les ont privés de leurs droits, chassés des administrations et des universités, spoliés de leurs immeubles et de leurs fonds de commerce, dépouillés de leurs bijoux.

Leurs coreligionnaires de France étaient frappés d’une amende collective d’un millard. Ils étaient traqués, arrêtés, internés au camp de Drancy et envoyés par wagons plombés en Pologne ou beaucoup périrent dans les fours crématoires.

Au lendemain de la libération de la France, la communauté juive algérienne retrouva rapidement ses droits et ses biens grâce à l’appui des élus musulmans, malgré l’hostilité de l’administration pétainiste.

Aura-t-elle la naïveté de croire que la victoire des ultra-colonialistes, qui sont précisément les mêmes qui l’ont persécuté, naguère, ne ramènera pas le même malheur ?

Les Algériens d’origine juive n’ont pas encore surmonté leur trouble de conscience, ni choisi de quel côté se diriger.

Espérons qu’ils suivront en grand nombre le chemin de ceux qui ont répondu à l’appel de la patrie généreuse, donné leur amitié à la Révolution en revendiquant déjà avec fierté, leur nationalité algérienne.

Cette option est basée sur l’expérience, le bon sens et la clairvoyance.

En dépit du silence du Grand Rabbin d’Alger, contrastant avec l’attitude réconfortante de l’Archevêque se dressant courageusement et publiquement contre le courant et condamnant l’injustice coloniale, l’immense majorité des Algériens s’est gardée de considérer la communauté juive, comme passée définitivement dans le champ ennemi.

Le FLN a étouffé dans l’œuf des provocations nombreuses préparées par les spécialistes du gouvernement général. En dehors du châtiment individuel infligé aux policiers et contre-terroristes responsables de crimes contre la population innocente, l’Algérie a été préservée de tout progrom. Le boycottage des commerçants juifs, devant suivre le boycottage des Mozabites a été enrayé même d’exploser.

Voilà pourquoi, le conflit arabo-israélien n’a pas eu, en Algérie, de répercussions graves, ce qui aurait comblé le vœu des ennemis du peuple algérien.

Sans puiser dans l’histoire de notre pays les preuves de tolérance religieuse, de collaboration dans les plus hauts postes de l’Etat, de cohabitation sincère, la Révolution Algérienne a montré par les actes, qu’elle mérite la confiance de la minorité juive pour lui garantir sa part de bonheur dans l’Algérie indépendante.

En effet, la disparition du régime colonial, qui s’est servi de la minorité juive comme tampon pour atténuer les chocs anti-impérialistes, ne signifie pas forcément sa paupérisation.

C’est une hypothèse absurde que de s’imaginer que« l’Algérie ne serait rien sans la France ».

La prospérité économique des peuples affranchie est évidente.

Le revenu national, plus important, assurera à tous les Algériens une vie plus confortable.

Tenant compte de ce qui précède, le FLN recommande :

1°) Encourager et aider à la formation de comités et mouvements de libéraux algériens, même ceux ayant au départ des objectifs limités :

a) Comité d’action contre la guerre d’Algérie ;

b) Comité pour la négociation et la paix ;

c) Comité pour la nationalité algérienne ;

d) Comité de soutien des victimes de la répression ;

e) Comité d’études du problème algérien ;

f) Comité pour la défense des libertés démocratiques ;

g) Comité pour le désarmement des milices civiles ;

h) Comité d’aide aux ouvriers agricoles(parrainage des syndicats, soutien des grèves, défense des enfants et des femmes exploités).

2°) Intensifier la propagande auprès des rappelés et des soldats du contingent :

a) Envoi de livres, revues, journaux, tracts anti-colonialistes ;

b) Comité d’accueil des permissionnaires ;

c) Théâtre : pièces exaltant la lutte patriotique pour l’indépendance.

3°) Multiplier les comités de femmes de mobilisés pour exiger le rappel de leurs maris.

C) L’Action du FLN en France

1°) Développer l’appui de l’opinion libérale

L’analyse de l’éventail politique chez les libéraux en Algérie peut être valable pour saisir les nuances de l’opinion publique en France, sujette à des fluctuations rapides en raison de la sensibilité populaire.

Il est certain que le FLN attache une certaine importance à l’aide que peut apporter à la justice cause de la Résistance Algérienne la partie éclairée du peuple français, insuffisamment informé des horreurs indicibles perpétrées en son nom.

Nous apprécions la contribution des représentants du mouvement libéral français tendant à faire triompher la solution politique, pour éviter une effusion de sang inutile.

La Fédération FLN en France, dont la direction est aujourd’hui renforcée à Paris, a une tâche politique de premier plan pour annuler l’effet négatif de la pression réactionnaire et colonialiste.

1°) Contacts politiques avec les organisations, mouvements et comités contre la guerre coloniale.

– Presse, meetings, manifestations et grèves contre le départ des soldats, la manutention et le transport du matériel de guerre.

2°) Soutien financier par la solidarité aux résistants et aux combattants pour la liberté.

2°) Organiser l’émigration algérienne

La population algérienne émigrée en France est un capital précieux en raison de son importance numérique, de son caractère jeune et combatif, de son potentiel politique.

La tâche du FLN est d’autant plus importante pour mobiliser la totalité de ces forces qu’elle nécessite, en même temps, la lutte à outrance contre les tentatives de survivance du messalisme.

1°) Eclairer l’opinion publique française et étrangère en donnant informations, articles de journaux et revues. Grouper à cet effet les militants expérimentés, les intellectuels et les étudiants.

2°) Dénoncer d’une façon infatigable et patiente la faillite du messalisme comme courant politique, sa compromission avec les milieux proches du gouvernement français ce qui explique l’orientation dirigée non contre le colonialisme, mais contre le FLN et l’ALN.

D) La Solidarité Nord-Africaine

L’intransigeance révolutionnaire du FLN, la poursuite farouche de la lutte armée par l’ALN, l’unanimité nationale du peuple algérien soudée par l’idéal d’indépendance nationale, ont mis en échec les plans colonialistes.

Les gouvernements tunisien et marocain ont en particulier(sous la pression des peuples frères), pris nettement position sur ce problème qui conditionne l’équilibre nord-africain.

Le FLN doit encourager :

1°) La coordination de l’action gouvernementale des deux pays du Maghreb, dans le but de faire pression sur le gouvernement français : action diplomatique ;

2°) L’unification de l’action politique par la création d’un comité de coordination des partis frères nationaux avec le FLN ;

a) Création de comités populaires de soutien de la Résistance Algérienne ;

b) Intervention multiforme dans tous les secteurs ;

3°) La liaison permanente avec les Algériens résidant au Maroc et en Tunisie(action concrète auprès de l’opinion publique, de la presse et du gouvernement) ;

4°) La solidarité des Centrales Ouvrières U.G.T.T, U.M.T.,U.G.T.A.;

5°) L’entraide des trois unions estudiantines.

6°) La coordination de l’action des trois centrales économiques.

4°) L’Algérie devant le monde.

La diplomatie française a entrepris sur le plan international un travail interne pour obtenir partout oÙ c’est possible, ne serait-ce que très provisoirement, une aide morale et matérielle ou une neutralité bienveillante et passive. Les seuls résultats plus ou moins positifs sont les déclarations gênées, arrachées aux représentants des Etats–Unis, de l’Angleterre et de l’O.T.A.N.

Mais la presse mondiale, notamment la presse américaine, condamne impitoyablement les crimes de guerre, plus particulièrement la légion et les paras, le génocide des vieillards, des femmes, des enfants, le massacre des intellectuels et des civils innocents, la torture des emprisonnés politiques, la multiplication des camps de concentration, l’exécution d’otages.

Elle exige du colonialisme français, la reconnaissance solennelle du droit du peuple algérien à disposer librement de son sort.

La lutte gigantesque engagée par l’Armée de Libération Nationale, son invincibilité garantie par l’adhésion unanime de la nation algérienne à l’idéal de liberté, ont sorti le problème algérien du cadre français dans lequel l’impérialisme l’a tenu jusqu’alors prisonnier.

La conférence de Bandoeng et surtout la 10ème session de l’O.N.U. ont en particulièrement le mérite historique de détruire la fiction juridique de « l’Algérie française ».

L’invasion et l’occupation d’un pays par une armée étrangère ne sauraient en aucun cas modifier la nationalité de ses habitants. Les Algériens n’ont jamais accepté la « francisation », d’autant plus que cette « étiquette » ne les a jamais empêchés d’être dans leur patrie moins libres et moins considérés que les étrangers.

La langue arabe, langue nationale de l’immense majorité, a été systématiquement étouffée. Son enseignement supérieur a disparu dès la conquête par la dispersion des maîtres et des élèves, la fermeture des universités, la destruction des bibliothèques, le vol des donations pieuses.

La religion islamique est bafouée, son personnel est domestiqué, choisi et payé par l’administration colonialiste.

L’impérialisme français a combattu le mouvement progressiste des Oulémas pour donner son appui total au maraboutisme, domestiqué par la corruption de certains chefs de confréries.

Combien apparaît dégradante le malhonnêteté des Bidault, Lacoste, Soustelle et du Cardinal Feltin lorsqu’ils tentent de tromper l’opinion publique française et étrangère en définissant la Résistance Algérienne comme un mouvement religieux fanatique au service du panislamisme.

La ligne de démarcation de la Révolution ne passe pas entre les communautés religieuses qui peuplent l’Algérie, mais entre d’une part, les partisans de la liberté, de la justice, de la dignité humaine et d’autre part, les colonialistes et leurs soutiens, quelle que soit leur religion ou leur condition sociale.

La meilleure des preuves n’est-elle pas le châtiment suprême infligé à des traîtres officiants du culte, dans l’enceinte même des mosquées.

Par contre, grâce à la maturité politique du peuple algérien et à la sage et lucide direction du Front de Libération Nationale, les provocations traditionnelles et renouvelées du colonialisme : pogroms, troubles anti-chrétiens, xénophobie, ont été déjouées et étouffées dans l’œuf.

La Révolution Algérienne, malgré les calomnies de la propagande colonialiste, est un combat patriotique, dont la base est incontestablement de caractère national, politique et social.

Elle n’est inféodée ni au Caire, ni à Londres, ni à Moscou, ni à Washington.

Elle s’inscrit dans le cours normal de l’évolution historique de l’humanité qui n’admet plus l’existence de nations captives.

Voilà pourquoi l’indépendance de l’Algérie martyre est devenue une affaire internationale et le problème-clé de l’Afrique du Nord.

De nouveau, l’affaire algérienne sera posée devant l’O.N.U. par les pays afro-asiatiques.

Si, lors de la dernière session de l’Assemblée Générale de l’O.N.U., on constata chez ces pays amis le souci tactique exagérément conciliateur, allant jusqu’à retirer de l’ordre du jour la discussion de l’affaire algérienne, il n’en est pas de même aujourd’hui car les promesses de la France n’ont nullement été tenues.

Ce manque de hardiesse était déterminé par l’attitude des pays arabes en général et de l’Egypte en particulier. Leur soutien à la lutte du peuple algérien demeurait limité ; il était assujetti aux fluctuations de leur diplomatie. La France exerçait une pression particulière sur lr Moyen-Orient en monnayant son aide économique et militaire et son opposition au Pacte de Bagdad. Elle avait notamment essayé de peser de toutes ses forces pour paralyser les armes psychologiques et morales dont le FLN dispose.

L’attitude des pays non arabes du bloc afro-asiatique était conditionnée, semble-t-il, par le souci d’une part de ne jamais dépasser celle des pays arabes, par le désir d’autre part de jouer un rôle déterminant dans des problèmes tels que ceux désarmement et de la coexistence pacifique.

Ainsi l’internationalisation du problème algérien dans sa phase actuelle a renforcé la prise de conscience universelle sur l’urgence du règlement d’un conflit armé pouvant affecter le bassin méditerranéen et l’Afrique, le Moyen-Orient et le monde entier.

Comment Diriger Notre Activité internationale ?

Nos contacts avec les dirigeants des pays frères n’ont jamais été autre chose que des contacts d’alliés et non d’instruments.

Nous devons veiller d’une façon systématique à conserver intacte l’indépendance de la Révolution Algérienne. Il convient de réduire à néant la calomnie lancée par le gouvernement français, sa diplomatie, sa grande presse pour nous présenter, n’ayant pas de racines dans la Nation Algérienne captive.

1°) Provoquer chez les gouvernements du Congrès de Bandoeng, en plus de l’intervention à l’O.N.U., des pressions diplomatiques, voire économiques directes sur la France ;

2°) Rechercher l’appui des peuples d’Europe, y compris les pays nordiques et les démocraties populaires ainsi que les pays d’Amérique Latine ;

3°) S’appuyer sur l’émigration arabe dans les pays de l’Amérique Latine.

Dans ce but, le FLN a renforcé la Délégation algérienne en mission à l’extérieur. Il devra avoir :

a) Bureau permanent auprès de l’ONU et aux USA ;

b) Délégation dans les pays d’Asie ;

c) Délégations itinérantes pour la visite des capitales et la participation aux rassemblements mondiaux culturels, estudiantins, syndicaux, etc ;

d) Propagande écrite crée par nos propres moyens ; bureau de presse, éditions de rapports, documents par la photo et le film.

CONCLUSION

Il y a dix an, au lendemain de la fin de la deuxième guerre mondiale, une formidable explosion a ébranlé l’impérialisme.

L’irrésistible mouvement de libération nationale, longtemps comprimé, secoua les peuples captifs. Une réaction en chaîne entraîna les pays colonisés, l’un après l’autre, dans la conquête d’un avenir flamboyant de liberté et de bonheur..

En cette courte période, dis huit nations sont sorties des ténèbres de l’esclavage colonial et ont pris place au soleil de l’indépendance nationale.

Les peuples de Syrie et du Liban, du Viet-Nam et du Fezzan ont brisé les barreaux de leurs cellules et réussi à quitter l’immense prison du colonialisme français.

Les trois peuples du Maghreb ont manifesté à leur tour leur volonté et leur capacité de prendre leur place dans le concert des nations libres.

La révolution Algérienne du 1er Novembre 1954 est sur la bonne voie.

La lutte sera encore difficile, âpre, cruelle.

Mais sous la ferme direction du FRONT DE LIBERATION NATIONALE, la victoire couronnera la longue lutte armée menée par le peuple algérien indompté.

La date humiliante du 5 juillet 1830 sera effacée avec la disparition de l’odieux régime colonial.

Le moment est proche où le peuple algérien recueillera les doux fruits de son douloureux sacrifice et de son courage sublime.

L’INDEPENDANCE DE LA PATRIE SUR LAQUELLE FLOTTERA SOUVERAINEMENT LE DRAPEAU NATIONAL ALGERIEN.

L’interruption des élections législatives, le 11 janvier 1992

Depuis l’accession du pays à la souveraineté, l’Algérie ne s’est jamais retrouvée dans une situation embarrassante comme celle du 11 janvier 1992. Il s’agit, pour rappel, de l’annulation des élections législatives que le régime a lui-même organisées. En effet, l’armée est intervenue pour mettre fin au processus électoral, dont le premier tour s’est déroulé le 26 décembre 1991, remporté haut la main par le FIS (Front islamique du Salut). Bien que la classe politique se soit divisée sur l’arrêt du processus électoral, force est de constater, 22 ans plus tard, que la libéralisation politique a pris un sérieux coup, avec notamment le lot de restrictions liées à l’état d’urgence. Par ailleurs, lors de ces élections –et c’est le moins que l’on puisse dire –, les Algériens pensaient choisir eux-mêmes leurs représentants. Et c’est là bien sûr le but des élections. En effet, le citoyen met une pression sur le ses gouvernants afin qu’ils réalisent leurs desiderata. Dans le cas contraire, ils auront la possibilité d’élire de nouveaux gouvernants. Quant aux partis, ils doivent ajuster leurs programmes de sorte à rapprocher l’État du citoyen. Et si on se limitait à ces acceptions fondant l’État de droit, on pourrait dire que les élections du 26 décembre 1991 respectent les normes de la démocratie.

 

Cependant, tous les pays qui ont accepté l’ouverture démocratique, l’armée a toujours joué un rôle primordial. Dans certains pays, leur rôle était néfaste, comme le résume William Quandt dans « Société et pouvoir en Algérie » en notant à juste titre: « Partout où les régimes ont permis des ouvertures, l’assignation d’un rôle précis aux militaires a constitué un problème de taille : il est extrêmement difficile d’écarter les militaires de la scène politique, comme l’ont montré les cas de la Turquie et du Chili.» Indubitablement, l’Algérie des années quatre-vingt et début des années quatre-vingt-dix ne dérogeait pas à cette règle. L’annulation du second tour des élections législatives corrobore, si besoin est, cette thèse. Quoi qu’il en soit, la confrontation entre les deux acteurs forts du moment, le FIS et l’armée, est due principalement à l’incohérence de l’opposition républicaine, mais aussi à l’incurie du régime à résoudre les problèmes des Algériens. Du coup, l’accès aux responsabilités où leurs conservations ne peuventt intervenir qu’en éliminant l’antagoniste. Mais avant cette confrontation, qui a donné naissance certes au forceps à la démocratie, les Algériens ont accompagné cette période avec effervescence.

I-                   Vers la libération de la parole

Le deuxième mandat de Chadli, après sa réélection en 1984, a été inauguré par une phase de dégringolade de l’économie nationale. La crise a atteint son paroxysme en 1986. En effet, la chute des prix des hydrocarbures, principale ressource du pays, a fait vaciller le régime, bien que ce dernier ait essayé de mieux gérer le budget, en menant une politique d’austérité. Et les méfaits de cette politique n’ont pas tardé à apparaître. En octobre1988, l’Algérie a connu une révolte généralisée. Les manifestants ont crié leur ras-le-bol en prenant pour cible le président de la République, mais aussi le chef du parti unique, Mohand Cherif Messaadia. Grâce à cette révolte, l’idée d’une ouverture démocratique commençait déjà à germer. Dans le film-documentaire « Algérie(s), un peuple sans voix » de Malek Bensamail, deux acteurs importants de l’époque ont exprimé deux visions différentes à propos de l’ouverture démocratique. Si pour Hocine Ait Ahmed, il s’agissait d’une ouverture par effraction tout en estimant que ce droit devait être octroyé depuis belle lurette aux Algériens ; pour Khaled Nezzar, il s’agissait d’une erreur grave de tenter une telle ouverture dans les conditions de l’époque. D’ailleurs, cette dernière position a déjà été soutenue par des membres influents du parti unique lors du congrès de décembre 1988. A la fin de ses travaux, le congrès a adopté une motion avertissant que « dans les conditions actuelles, le multipartisme représente un danger pour le peuple, pour la nation et pour l’unité nationale. » Cependant, en confiant la rédaction de la troisième constitution algérienne aux réformateurs,  adoptée pour rappel le 23 février 1989, Chadli a voulu se mettre au-dessus des partis. Mais il a créé également beaucoup de mécontents dans son propre camp.  Bien que la nouvelle constitution laisse la liberté de constituer « des associations à caractère politique », les rédacteurs n’ont pas omis d’accroitre les prérogatives du président de la République. Par conséquent, le pouvoir législatif demeurait toujours sous la tutelle du chef de l’État dès lors qu’il pouvait nommer et démettre le chef du gouvernement, dissoudre le parlement comme bon lui semblait. D’ailleurs, le 14 septembre 1989, Chadli a usé de ce droit constitutionnel pour évincer Kasdi Merbah qui ne voulait pas quitter la chefferie du gouvernement en arguant que les députés avaient adopté son programme de politique générale. Néanmoins, avant de partir, Merbah avait pris une décision qui a secoué, deux ans plus tard, les bases de la nation : la légalisation du FIS. Mais si Merbah ne l’avait pas fait, son successeur, Mouloud Hamrouche, l’aurait fait sans réticence.

II-                Le FIS, un parti pas comme les autres

Le projet de programme politique du FIS, présenté le 7 mars 1989, pouvait être considéré, si on se limitait juste à la lecture du document, comme un programme modéré. En effet, il était question de «concrétiser des idéaux de justice, de liberté et de démocratie. » Cependant, ces principes ont été vite foulés au sol par les discours enflammés des dirigeants du FIS. Ainsi, Ali Belhadj, vice-président du parti, a déclaré dans les colonnes du journal de son parti que « le peuple n’a pas le droit de choisir son souverain qui gouverne selon la charia. » Mais fallait-il comprendre que ce candidat qui allait appliquer la Charia en Algérie serait choisi une seule fois parmi les dirigeants de son parti, et puis il ne serait plus question de le remettre en cause ? En tout cas, c’est la nonchalance et les divisions au sein du régime qui ont facilité l’entrée sur la scène politique d’un parti extrémiste, et ce, bien que la constitution soit claire à ce sujet : pas de reconnaissance des partis fondés sur des bases exclusivement confessionnelles ou régionales. Du coup, dans les mosquées contrôlées par le FIS, c’est-à-dire la majorité ou peu s’en faut, le discours pouvait aller de la solution islamique à la désobéissance civile. Contre toute attente, son discours contestataire a pu capitaliser les aspirations de changement d’une population désemparée. Ainsi, la population qui tirait à hue et à dia a trouvé en le FIS celui qui allait la sauver de l’incurie d’un pouvoir inamovible depuis 1962.

Cependant, dès lors que la voie démocratique a été ouverte, il était normal de tester la représentation des forces politique à travers l’organisation de joutes électorales. En choisissant la prudence, le régime a opté pour les élections locales. Ainsi, le 12 juin 1990, le FIS a remporté une victoire écrasante. Cela dit, le score ne reflétait pas l’adhésion du peuple pour le programme du FIS. Mais force est de constater que la loi électorale l’a tout bonnement favorisé. En effet, l’un des articles de la loi électorale stipule que : « Si aucun parti n’obtenait pas la majorité absolue, le parti au score le plus large recevait la moitié des sièges plus un, le reste étant réparti proportionnellement entre tous les partis ayant obtenu plus de 7% des voix. » Du coup, avec 34% de voix par rapport au nombre d’inscrits, le FIS a remporté 856 communes sur 1500, soit 57%, et 32 Assemblées de Wilayas sur 48, soit 66%.

Par ailleurs, les retombées de cette victoire n’ont pas tardé à se faire sentir. Et sentant que la base le soutenait indéfectiblement, le FIS a commencé à dévoiler sa véritable identité. Les mesures de restrictions dans les communes régies par le FIS ont été innombrables. Pour Lounis Aggoun et Jean Baptiste Rivoire, les mesures qui ont soulevé un vent de panique étaient : « l’interdiction de jouer aux dominos ou aux cartes durant les soirées de ramadan, tentative d’application de la charia dans certaines communes, interdiction de mixité à Alger et à Constantine, constitution de polices des mœurs à Mostaganem, interdits vestimentaires à Jijel, Tipaza et Dellys, suppression du festival du rai à Oran, musique taxée de péché, installation de tribunaux parallèles à Chlef, interdiction d’alcool à Sétif, Annaba et Alger, interdiction de tabac, fermeture de salles de spectacles… » Dans les Républiques qui se respectent, chacune de ces interdictions pouvait provoquer la dissolution immédiate du parti. En dépit de ces abus, le gouvernement a décidé de convoquer les électeurs pour les premières élections législatives sous l’ère du multipartisme.

III-             Les contradictions au sein du régime

Les premières élections législatives ont été prévues initialement pour le 26 juin 1991. Le gouvernement réformateur, dirigé par M. Hamrouche, a proposé, le 1er avril, la loi électorale régissant ces législatives. La loi était injuste dans la mesure où le découpage électoral allait favoriser tacitement la future coalition FLN réformateur-FFS de Hocine Ait Ahmed. Toutefois, à partir du moment où le FIS paraissait infréquentable, logiquement cette démarche aurait dû réjouir le pouvoir dans tous ses segments. Le début de la campagne a été prévu pour le 2 juin. Jusque-là le parti d’Abassi n’a pas encore opté pour le moyen à employer pour perturber la partie. C’est à partir de Tlemcen, le 14 mai 1991, que le leader du FIS a décidé de lancer une grève générale illimitée à partir du 25 mai. Il a averti les dirigeants en usant d’un langage guerrier : « Si l’armée intervient, nous nous battrons. Si une goutte de sang venait à couler, je jure par Dieu que nous nous battrons jusqu’à l’anéantissement. » Cette déclaration valait amplement la dissolution du FIS. Contre toute attente, c’est M. Hamrouche qui a été poussé à quitter le gouvernement, et ce, malgré le bilan calamiteux de la grève, deux jours après son lancement, comme l’a fait remarquer Yves Heller du Monde en notant : « mis à part quelques affiches qui appelaient au mouvement, rien n’indiquait qu’une grève générale ait lieu… Le monde du travail n’a pas répondu à l’appel ; pis, des débrayages prévus de longue date, comme celui des aiguilleurs du ciel, sont suspendus dés que commence la grève du FIS. » Quant au syndicat islamiste, le SIT en l’occurrence, celui-ci a appelé à la grève pour le 1er juin, alors que le parti l’avait lancée le 25 mai. Toutefois, la démission de Hamrouche le 4 juin et la proclamation de l’état de siège le 5 juin ont induit l’annulation systématique des élections législatives.

Cependant, la vacance du poste de chef de gouvernement a été aussitôt palliée. Ainsi, Sid Ahmed Ghozali, qui se trouvait au Nigéria pour représenter Chadli, a été appelé d’urgence. Voila comment a-t-il raconté cet épisode : « Quand l’état de siège a été décrété, le président de la République m’a envoyé un avion spécial pour me faire rentrer à Alger et c’est là qu’il m’a proposé je dirai presque imposé  d’accepter la mission de chef de gouvernement. » Par ailleurs, dés le 7 juin 1991, le nouveau chef du gouvernement a annoncé la tenue des élections législatives, propres et honnêtes, avant la fin de l’année, et ce, après avoir rencontré les deux leaders du FIS. Selon W.Quandt : « Madani était toujours décidé à présenter cette victoire comme une victoire, et déclara que l’état de siège n’était pas dirigé contre le FIS. En fait, il semblait se satisfaire du départ de Hamrouche. » D’ailleurs, comment il ne pourrait pas l’être, puisque Ghozali a décidé de revoir la loi électorale en portant le nombre de députés à 430 au lieu des 295 proposés par Hamrouche.

IV-             Vers la tenue des élections

La démission de Hamrouche signifie, par ricochet, que Chadli avait perdu un allié de taille. Bien qu’il se soit maintenu, dans le second semestre de 1991, les véritables forces du pays étaient désormais l’armée et le FIS. Quant au nouveau chef du gouvernement, sa mission se limite à l’organisation des élections législatives. Toutefois, bien que les leaders du FIS soient emprisonnés le 30 juin, le FIS a l’occasion de se restructurer autour de son nouveau leader, Abdelkader Hachani. Le 12 octobre, Sid Ahmed Ghozali  propose aux députés d’adopter la nouvelle loi électorale. Pour  W. Quandt,  «le nouveau premier ministre Sid Ahmed Ghozali avait promis l’organisation d’élections libres et honnêtes, avec une nouvelle loi électorale, ce qui pouvait ressembler aussi à une victoire du FIS. » Dans la foulée, Chadli  annonce également la tenue des législatives pour le 26 décembre 1991. Avant d’ajouter que « le second tour pourrait se tenir le 16 janvier 1992. »

Par ailleurs, à un mois des élections, un fait grave s’est produit à la frontière algéro-tunisienne. En effet, le 28 novembre, un groupe armé a pris d’assaut la caserne de Guemmar. Le ministre de la Défense, Khaled Nezzar, se rend tout de suite sur les lieux. Il affirme, sans qu’il y ait la moindre enquête  que « les auteurs de cette attaque sont indirectement liés au FIS. » Hélas, cette énième occasion de dissoudre le FIS n’a pas été non plus saisie. Toutefois, les walis ont été chargés, dés le 6 décembre, par une nouvelle loi, de faire appel à l’armée pour les aider dans leur mission. Ce qui pouurait être interprété comme un moyen de contourner la volonté du président si jamais il refusait de décréter l’état de siège au moment idoine. À douze jours du scrutin, le FIS décide enfin de participer aux élections. Pendant la campagne électorale, les responsables des partis sillonnent le pays pour expliquer leurs programmes. Enfin, Chadli clôture la campagne par un discours où il dit qu’il serait prêt à gouverner avec le parti vainqueur, quel qu’il soit, et ce, dans le respect de la constitution du 23 février 1989. Malgré les tensions tous azimuts, les premières élections majeures et pluralistes ont bien lieu, le 26 décembre 1991. Comme en juin 1990, la victoire du FIS est écrasante. Le mode de scrutin et la nouvelle loi électorale sont déterminants dans cette victoire, car les Algériens n’ont pas voté, encore une fois, massivement pour le FIS. Ainsi, sur 13,3 millions d’inscrits, 3260359 électeurs ont voté pour le FIS. Ce résultat le place naturellement  à la première position derrière le FLN avec 1613507 voix et le FFS avec 510661 voix. Or le nombre de sièges remportés ne reflétait pas le poids électoral de chaque parti. Le FIS est arrivé en tête avec 188 sièges suivi du FFS avec 25 sièges et enfin du FLN avec 15 sièges. Ainsi, en analysant les chiffres, il fallait en moyenne 17340 voix pour élire un député FIS, 22426 pour élire un député FFS et 107633 voix pour élire un député FLN. Et si la représentation proportionnelle avait été choisie, le FIS n’aurait en aucun cas remporté la majorité de sièges. Son score se serait situé aux alentours de 30%. Et la coalition des autres partis aurait même privé le FIS de diriger le gouvernement.

Cette victoire, au goût amer, va diviser la classe politique quant à la poursuite ou non du processus électoral. Au sein du gouvernement, on pense déjà la manière d’arrêter le processus électoral. Une commission composée de deux civils et deux militaires désigne le général  Nezzar pour rencontrer Chadli. Résultat des tractations : le président  accepte de démissionner. Il accepte également de dissoudre le parlement. Au journal télévisé de 2Oheures, ce 11 janvier 1992, Chadli a remis sa démission au président du conseil constitutionnel, Abdelmalek Benhabyles. Devant ce vide juridique, le HCS (Le Haut Conseil de Sécurité) met un terme au processus électoral. Cet organe consultatif, réuni normalement à l’initiative du président de la République, décide alors de siéger sans discontinuer. La parenthèse démocratique sera refermée après plus de deux ans de pluralisme. En effet, bien que des hommes sincères aient occupé des responsabilités [je pense notamment à Liamine Zeroual], force est de constater que tous ont reconduit l’état de siège sine die. L’abrogation de cette loi après les révoltes nord-africaines ne change rien à la donne.

Boubekeur Ait Benali

Le GPRA et la crise des 110 jours !

La crise dite des 110 jours, ayant causé la paralysie du fonctionnement du gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), a été indubitablement l’une des plus pernicieuses que le mouvement national ait connue. Elle a été à l’origine d’une lutte de leadership. Mais elle a prouvé par ricochet l’impéritie de la délégation extérieure à pourvoir les maquis de l’aide pour laquelle ils avaient été choisis. Dans cette lutte, la propension de certains chefs à s’imposer à la direction a entravé le fonctionnement des instances dirigeantes, et ce, bien que ces derniers n’aient pas transigé sur le principe de l’indépendance. En revanche, l’interrogation qui taraude l’esprit est de se demander pourquoi la crise a touché la délégation extérieure alors que l’intérieur fut soumis, à la même période, aux opérations du plan Challe? Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les opérations qui ont eu lieu entre février et novembre 1959 furent d’une répression inouïe.

Cependant, à l’extérieur, la révolution fut dirigée d’une main de fer par trois personnes, en l’occurrence Krim Belkacem, Bentobbal et Boussouf, ne laissant aucune initiative aux autres dirigeants. Sinon comment expliquer que le Conseil National de la Révolution algérienne (CNRA) ne s’est pas réuni du 27 août 1957 jusqu’au 16 décembre 1959, et ce, bien que le gouvernement ait été créé le 18 septembre 1958 ? De toute façon, tant que les organismes dirigeants ne furent pas convoqués, les dissensions furent contenues. Car les portefeuilles prépondérants furent occupés par les 3B. En revanche, bien qu’ils aient gardé le grade de colonel, leur entrée au gouvernement les a fait passer pour des ministres au même titre que les autres. Or la démarche des 3B fut la convocation des sept autres colonels en vue d’écarter les politiques du GPRA. C’est ce qu’écrit Mohamed Harbi en reprenant un des témoins de l’époque : « Les exigences du triumvirat, selon Kaid Ahmed, voilà la liste [des futurs dirigeants]. La révolution est restée sans tête depuis six mois ; il faut en sortir. Le gouvernement n’a pas réussi. Nous vous proposons un gouvernement de cinq membres qui sera en même temps un gouvernement et une direction du FLN. Y figurent, aux côtés du triumvirat Krim, Bentobbal et Boussouf, Ben Khedda et Omar Oussedik .» (1) Mais cela a-t-il été accepté par les sept autres colonels ? Quelles étaient les racines de la crise et les arrière-pensées des promoteurs de la réunion des dix colonels ?
I) L’incubation de la crise
Deux mois après la création du GPRA, une réunion des colonels de l’intérieur fut convoquée à l’initiative du colonel Amirouche, chef de la wilaya III. Deux chefs de wilayas importantes, le colonel Ali Kafi et le colonel Lotfi, respectivement chefs de la wilaya II et de la wilaya V, déclinèrent l’invitation. Bien que la réunion ait eu lieu dans le Constantinois, Mohamed Harbi estime que les deux colonels « craignent que l’initiative d’Amirouche ait pour but de faire de Krim Belkacem le leader de la révolution.» (2) La conclusion dégagée à l’issue de cette réunion fut principalement l’incapacité des dirigeants extérieurs à pourvoir en armement les maquis intérieurs suffocants. Ainsi, à la fin des travaux de la réunion, allant du 12 au 16 décembre 1958, les congressistes « affirment la primauté de l’intérieur et le principe de la direction collégiale, ce qui est une manière de récuser le GPRA », écrit encore Mohamed Harbi. Mais pourquoi la direction extérieure ne parvint pas à s’acquitter de sa mission à tel point que les dirigeants de l’intérieur vilipendèrent leur apathie ? La succession de mini-crises a créé en effet une atmosphère tendue aux frontières. Il y avait la dissidence du capitaine Ali Hambli qui rejoignit, avec armes et bagages, en compagnie de ses subalternes, l’armée française. Dans la foulée, il y eut aussi l’affaire connue sous le vocable « l’affaire Lamouri ». La description de Mohamed Harbi rend compte de la tension qui prévalut au sommet de la direction en notant à juste titre : « Le complot Lamouri représente une tentative des officiers de la wilaya des Aurès-Nementchas et la base de l’Est pour renverser le GPRA… » (3)

Toutefois, ce qui secoua le soubassement de la révolution fut incontestablement l’« affaire Amira ». Ce dernier avait milité au Parti du Peuple algérien (PPA) dans l’Est algérien, dans la même localité que Ferhat Abbas. À la création du GPRA, Amira manifesta sa désapprobation quant à la désignation de Ferhat Abbas à la tête du GPRA. Au Caire où il était en mission, Amira dénigra sans vergogne le personnage de Ferhat Abbas. Ce dernier aurait alors fait appel à Boussouf, chef des services secrets de la révolution, pour mettre fin à cette campagne de dénigrement. Convoqué par les services de Boussouf, Amira fut retrouvé mort à quelques encablures du siège du GPRA. Bien que la version officielle ait conclu au suicide, le ministre des Affaires étrangères, Mohamed Lamine Debaghine, ami de longue date d’Amira, refusa de clore l’affaire. Par conséquent, depuis cette affaire, les réunions du GPRA se tinrent dans une atmosphère houleuse. Selon Kaid Ahmed, cité toujours par Harbi, « il y a eu une réunion au Caire pendant 25 jours où chacun gardait sa mitraillette sous son paletot. En définitive, une solution a été trouvée quand tout le monde était au courant, même la France. Une lettre du GPRA a été adressée aux chefs militaires. Munis de cette lettre, trois membres du GPRA (Krim, Bentobbal, Boussouf) se sont dispersés à travers les frontières pour dire que le GPRA était défaillant et que les chefs militaires devaient donner au pays une direction. » (4)

En fait, pour ne pas apparaître manœuvriers, les 3B persuadèrent [avec quelle manière ?] Ferhat Abbas de rédiger le message aux sept autres colonels. En voici le texte du président du GPRA : « Au cours de la dernière réunion du conseil des ministres, j’ai constaté qu’une grave crise avait conduit le gouvernement à l’impasse. N’ayant pu faire recours à l’arbitrage du GPRA et du CNRA, dont la composition est contestée par certains, le gouvernement s’est retrouvé paralysé. Dans ces conditions, je prends toutes mes responsabilités en tant que chef du gouvernement, et je vous invite à vous réunir dans les plus brefs délais pour doter la révolution d’un CNRA incontesté. Celui-ci sera alors habilité pour :

1) Recevoir la démission collective des ministres actuels ;
2) Investir un nouveau gouvernement ;
3) Donner à notre révolution une nouvelle stratégie politique, militaire, diplomatique, digne des grands sacrifices que cinq années de guerre ont imposés à notre peuple. » (5)

Pour le moment la partition paraissait simple à jouer. Mais une fois la machine s’est lancée, personne ne pouvait prévoir où elle pouvait y aller, y compris pour les 3B.

II) La longueur des palabres
Officiellement la rencontre fut convoquée par le président du GPRA. Dans la réalité, cette réunion fut une manœuvre des 3B consistant à écarter les politiques du gouvernement. Pour ce faire, ils pensaient s’appuyer sur le concours des autres colonels, pour la plupart leurs successeurs à la tête des wilayas. Ainsi, ce qui devait être une simple formalité, ne le fut plus une fois les travaux ont commencé. Selon Yves Courrière, la liste des présents était comme suit : «Hadj Lakhdar représentait les Aurès (w1), Ali Kafi le Constantinois (w2), Mohamedi Said et Yazourene la Kabylie (w3), le colonel Sadek l’Algérois (w4), Lotfi et Houari Boumediene l’Oranie (w5) ». (6) La question qui fut ignorée par les 3B n’était-elle pas de savoir si les chefs des wilayas et des COM (Est et Ouest) ne furent-ils pas intéressés par jouer désormais les premiers rôles ? Car, l’appel qui leur a été fait afin de régler la crise du GPRA les rendait de fait incontournables à l’avenir. En tout cas, la réunion des dix colonels donna lieu, dès le début de ses travaux, à un incident confirmant le poids des colonels en exercice. A ce propos, Harbi note à juste titre : « Le colonel Lotfi mit en cause la présence du triumvirat Krim-Bentobbal-Boussouf. Il y a une crise, a-t-il dit, au sein du gouvernement, vous appelez les chefs militaires pour arbitrer le conflit. Il y a ici des membres du GPRA qui sont juges et parties. Je vous demande quelle est votre place ici ? Ou bien vous sortez et nous laissez arbitrer, ou bien vous appelez les autres membres du gouvernement. » (7) Les autres membres du gouvernement sont son président Ferhat Abbas, le ministre des Affaires étrangères, Lamine Debaghine, le ministre des Affaires sociales, Ben Khedda, etc.

Toutefois, la longueur de la réunion explique de façon sous-jacente le degré de dissension au sein de la direction. En effet, il fallut 110 jours pour que les dix colonels parviennent à se mettre d’accord, et ce, au prix de quelques compromissions et de concessions des uns et des autres. Il y avait également des interruptions des travaux. La plus longue fut de douze jours. Dans cette longue crise, l’alliance des 3B ne fut pas tout le temps au rendez-vous. Et elle ne fut effective que lorsqu’il s’agissait d’affronter les politiques. En effet, lorsque Krim avait une divergence de vues avec les autres colonels, les deux autres B ne furent pas systématiquement solidaires avec lui. Ce qui fit dire à Ben Khedda, cité par Mohamed Harbi, qu’il y eut « deux clans qui se disputaient l’ALN », en parlant de la cohésion des trois chefs militaires les plus puissants jusque-là. Mais le bon sens finit toutefois par l’emporter. Car la paralysie du gouvernement n’arrangea personne. Partant, au bout de longs palabres, ayant duré 110 jours, les dix colonels parvinrent à un compromis : la désignation des membres du CNRA. Plusieurs personnalités furent écartées au passage dont Lamine Debaghine.

III) Les difficultés de désigner la direction
La fin de la réunion des dix colonels ne signifia pas pour autant que la crise ait été résorbée. Pour que la fin de la crise soit effective, il fallait réunir le CNRA afin qu’il dote la révolution d’une nouvelle direction. C’est dans ces conditions que fut convoqué le conseil national, faisant office de parlement de la révolution, du 16 décembre 1959 au 18 janvier 1960. Selon Mohamed Harbi, «la session du CNRA dure 33 jours. C’est une vraie foire d’empoigne où prédominent l’invective et l’accusation ad hominem… » (8) En effet, le moins que l’on puisse dire c’est que le compromis consistant à désigner les membres du CNRA n’incluait en aucun cas l’entente sur la nouvelle direction de la révolution.

Toutefois, dans ces 33 jours, il y avait bien entendu un travail colossal qui a été accompli en vue d’amender deux textes importants pour la suite de la révolution. Car avant même la réunion des dix colonels, deux commissions avaient travaillé sur le projet de programme et sur les statuts du parti. La première fut composée d’Omar Oussedik, Frantz Fanon, Abderrazak Chentouf et Mohamed Seddik Benyahia. La seconde fut constituée de Ben Khedda, Mabrouk Belhocine et Lamine Khène. Mais force est de reconnaître que l’adoption de ces textes ne fut pas éternelle. En effet, selon Yves Courrière, « tant qu’il s’agit d’énumérer les aspects positifs et négatifs de la gestion du GPRA, tant qu’il ne fut question que des mesures d’approvisionnement de telle ou de telle wilaya, tant qu’on passa en revue l’action de chacun des colonels, le travail avança à grands pas. Et puis on aborda le point crucial : la direction et la composition du comité révolutionnaire qui devait remplacer le GPRA et le choix des membres d’un nouveau CNRA faisant table rase des compromissions politiques et des dosages de tendance.» (9)

Cependant, le premier enseignement à tirer de cette lenteur des travaux du CNRA est incontestablement la non-domination de l’une des forces en présence par rapport à l’autre. Celle-ci explique, qu’on le veuille ou non, le déclin du pouvoir des 3B de façon générale et de celui de Krim Belkacem en particulier. Ainsi, bien qu’ils aient été les maîtres incontestés de la révolution, force est d’avouer que l’appel aux sept autres colonels fut avant tout une façon non délibérée de céder le pouvoir. Pour étayer cette thèse, il faudrait se référer aux délibérations du nouveau CNRA reconduisant Ferhat Abbas dans ses fonctions de président du GPRA. En revanche, la principale victime fut indubitablement Krim Belkacem. Il a en effet perdu le prestigieux portefeuille de ministre des forces armées. Et il n’hérita en conséquence que de celui des Affaires étrangères, occupé jusque-là par Lamine Debaghine. Bien qu’un comité interministériel de la guerre (CIG), composé par les 3B, ait été créé, la création de l’EMG (État Major général), confié à Houari Boumediene, représenta le vrai pouvoir militaire. Du coup, pour résumer cet épisode ayant duré six mois, l’éminent historien, Mohamed Harbi, le décrit comme suit : « Krim, Bentobbal et Boussouf tenaient leur pouvoir de leur qualité de chefs de l’ALN. En accédant au CCE, ils ont désigné eux-mêmes pour leur succéder des « clients », comme Houari Boumediene, Mohamedi Said, [Ali Kafi n’est pas cité], etc., choisis pour leur fidélité inconditionnelle. En août 1957 (2eme CNRA) et décembre 1959 (3eme CNRA), ceux-ci, à qui l’on a appris la méfiance à l’égard des politiques, se prêtèrent à toutes les manœuvres. Mais, en faisant appel à eux pour arbitrer les divergences au sein du GPRA, Krim, Bentobbal et Boussouf leur ont dangereusement fait découvrir qu’ils peuvent devenir la source du pouvoir réel. » (10)

En guise de conclusion, il va de soi que la plus longue crise du GPRA fut la résultante de plusieurs erreurs commises antérieurement. Bien que le combat livré contre l’une des grandes puissances militaires n’ait pas été une sinécure, la velléité de certains chefs de contrôler la révolution de façon autoritaire conduisait automatiquement à des impasses. Mais est-ce que tous les mouvements de libération ont tous connu ce genre de difficultés ? Autrement dit, était-il possible de conquérir les indépendances et de construire en même temps la démocratie ? En tout cas, pour le cas de l’Algérie, les révolutionnaires n’ont réussi qu’à libérer le pays. Ce qui est en soi énorme. Ce qui est par ailleurs regrettable c’est que les dirigeants ont réussi la réalisation du grand projet, l’indépendance du pays ; mais ils n’ont pas concrétisé le second, l’édification de la démocratie. Or, pour y parvenir, il suffit de faire confiance au peuple pour désigner dignement ces dirigeants.

Boubekeur Ait Benali

source : Blog perso de l’auteur B.A.B.

Notes de renvoi :
1) Mohamed Harbi, «FLN, mirage et réalité», page 254.
2) Id, page 236.
3) Id, page 226.
4) Id, page 246.
5) Lettre de Ferhat Abbas du 10 juillet 1959 rédigée au Caire.
6) Yves Courrière, «Les feux du désespoir», page 32.
7) Mohamed Harbi, id, page 249.
8) Id, page 253.
9) Yves Courrière, id, page33.
10) Mohamed Harbi, id, page 257